a. Dialogues improbables… et cependant…

Le premier — Je te jure qu'il est urgent d'être heureux. Tu ne vois pas la situation dans laquelle on est. Alors il n'y a pas de temps à perdre. C'est tout de suite, pas demain et encore moins hier.

Elle — Eh bien moi, tu vois, ça fait déjà un bon moment que je suis heureuse. Tiens ça remonte à octobre 1970. Tu vois que ce n'est pas d'hier. Il aura suffi d'une rencontre inattendue un dimanche matin. Même pas espérée. C'est dire ! Ça m'est tombé dessus littéralement je m'en souviens comme si c'était hier.

L'autre Elle — Tiens c'est marrant, moi c'est pareil, à la même époque, je crois bien que c'était octobre en effet. Les coïncidences sont étranges parce que dans mon souvenir c'est aussi un dimanche matin. Il est beau ce mec. Trop beau pour moi sans doute. Mais je n'ai rien oublié du bonheur qui transparaissait à travers son visage, son sourire et surtout ses yeux qui en débordaient. Je me demande ce qu'il a pu devenir. La différence est que comme dit l'adage : loin des yeux loin des poumons qui font respirer la vie à plein. Et je ne l'ai jamais revu.

L'homme marié — Pour ce qui me concerne, j'ai épousé une jeune fille deux ans plus tard, en octobre 1972. On est toujours ensemble. On a eu beaucoup d'enfants qu'on a donnés parce qu'on ne savait plus quoi en faire. Il y a un moment ça déborde trop. Sans doute qu'on n'aurait pas dû. C'est fuir nos responsabilités. J'aurais voulu trouver la manière de faire pour que tout cela demeure, se perpétuent, mais parfois on ne sait pas comment dire les choses pour ne pas faire de la peine.

L'autre Lui — Tu as peur des mots ? C'est avec ça qu'on fait la vérité. Pourquoi tu ne vas pas lui dire tes regrets, les erreurs que vous avez faites plus ou moins ensemble. Ça peut libérer.

Elle — Le bonheur c'est simple, il suffit d'y penser. C'est comme ça qu'il arrive et puis s'installe. Alors, évidemment, il ne faut pas trop le bousculer, parfois le bonheur est susceptible, faut pas le vexer, sinon il risque de s'enfuir et Dieu sait si un jour il reviendra. On apprend à mettre de l'eau dans son vin, du vinaigre dans sa soupe, de la crème chantilly sur ses sardines. Et puis tout roule ! Ça fait 50 ans que ça dure.

Le vieux marié — Je crois que je devrais faire une recherche pour retrouver l tous les enfants que l'on a donnés ou vendus. Peut-être aussi rendre l'argent. Mal acquis ne profite jamais. Remarque, on en a profité quand même. Tu as vu notre belle maison de 14 pièces parfaitement aménagées ? Le vaste domaine et la forêt privée ? La piscine ? Les dépendances et le personnel de maison ? Nous n'avons pas à nous plaindre d'autant qu'on a quand même gardé quelques enfants qu'on exploite sur nos terres

Le singe sage — Je crois que l'on a tous des choses à se reprocher. Qui n'en a pas…! À tous  voici mon conseil : Il faut pardonner.   Je vous assure que ça peut parfaitement fonctionner. Ce n'est pas si compliqué que cela. Il suffit d'installer chez soi des oubliettes à offenses. On en trouve pour pas très cher dans les bons magasins de bricolage. Certains proposent même de venir les monter chez vous. Bien entendu il faut une cave. Sinon on a des oubliettes de surface, bien trop voyantes, et dès lors, on n'oublie pas.,
Toi par exemple, oui toi, dans l'hypothèse où tu ne peux pas avoir accès à ce matériel pourtant abordable, à défaut de pardon, laisse venir l'oubli.