A. L'invitation

Là où je t’emmènerai….
- « Il n’y aura pas de meubles luisants, polis par les ans, ni de riches plafonds ou de miroirs profonds, pas davantage de splendeur orientale  1 » car je ne sais pas réciter Baudelaire.
- Et même si je connais un peu plus le grand Jacques, « je ne t’offrirais pas de perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas 2 ».
- Non, je ne te dirai rien de tout cela car je crois fermement que « tous ceux qui parlent des merveilles, leur fable cache des sanglots 3  »
- Moi, je préfère ne rien dire et t’inviter à venir vivre avec moi, à partager le quotidien d’une vie ici.
- Viens, essayons et je ferais de mon mieux pour que tu sois bien. Si par malchance ce n’est pas le cas, tu pourras toujours partir, tu verras il n’y a plus la clé sur la porte d’entrée. Les gens on ne leur appartient pas et ils ne nous appartiennent pas, alors tu es libre et tu le resteras.
- Chez moi, ce n’est pas très grand mais il fait chaud l’hiver et bon l’été, il n’y a pas du marbre mais du bois et de la chaux parce que je trouve cela plus doux et plus facile à travailler et puis question isolation, avec la paille de lavande que j’ai produit moi-même c’est très efficace. Et oui c’est moi qui aie réalisé une grande partie de cette maison parce que ça me plait de le faire et que c’est moins cher aussi.
- Ne t’inquiète pas, tu trouveras facilement ta place parce que tu pourras y mettre ta touche personnelle vu que ce n’est pas complètement fini. Il reste encore beaucoup à aménager alors tu pourras me donner des idées et même faire par toi-même si tu as envie. Mais, si tu as forcément des idées et tu peux faire plus de choses que tu ne le crois. Moi, je crois que tout le monde a sa place et que tous les talents sont les bienvenus quand on sait les accueillir.

J’écoutais cet homme me parler ainsi et je me demandais où j’allais mettre les pieds. Je n’étais pas vraiment rassurée par toutes les différences que je percevais entre nous, pourtant l’homme me donnait envie de lui faire confiance et le discours me plaisait. Il a dû percevoir mes hésitations car il a rajouté :

- Et puis tu sais, je n’ai pas envie de te raconter des salades, de faire des plans sur la comète, mais maintenant là quand je te vois, j’ai quand même bien envie de te dire, viens et reste avec moi. Et puis je vais quand même rajouter cette phrase parce que je l’aime bien, enfin je crois que ce sont des vers d’un poète connu mais moi, c’est dans la bouche de Jean FERRAT que je les ai découvert et là, je voudrais qu’ils deviennent les nôtres
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble 4

Forcément, s’il appelle FERRAT et ARAGON à la rescousse, ça mérite que je reste encore un peu à l’écouter, que je prête une oreille attentive à la proposition, me suis-je dit. Alors il a continué :

- Et puis tu verras, là où je vis, ce n’est pas la Côte d’Azur ni le Lubéron mais quand je prends le temps de regarder autour de chez moi, je trouve que c’est très beau. Ce n’est pas bien loin de chez toi mais quand même c’est différent, le relief est plus marqué, c’est le début du Vercors mais il reste encore un peu de Provence. Je crois que tu pourrais aimer ce coin, je veux bien te le faire découvrir et même te le faire aimer.
- Evidemment un mélange de Vercors et de Provence, c’est plutôt aguicheur me suis-je dit et je ne prends pas grand risque à aller voir. J’ai eu raison de m’aventurer 70 kilomètres au Nord Est de chez moi…

- Et puis les gens d’ici ont envie d’essayer des choses différentes. Oh, je ne te parlerais pas de l’art de vivre à la française, ça c’est dans les magazines, moi c’est ici que je vis. Je parlerais plutôt d’un état d’esprit un peu nouveau, certains disent qu’il y a beaucoup d’utopistes moi, je crois qu’il y a ici des gens qui veulent faire changer les choses. Pas une révolution non, mais expérimenter de nouvelles façons de vivre, de prendre du temps, de consommer différemment. Tout ce que certains vantent dans les quartiers bobos, ici il y a des gens pour essayer. Construire des maisons en botte de paille, cultiver un potager en permaculture, travailler dur pour faire ce qu’on aime mais à son rythme et sans chercher à gagner beaucoup, ne pas hésiter à vivre dans un camion et à faire la route et bien d’autres choses encore.  Je ne sais pas si c’est bien ou mal mais ça existe et je te propose de venir le voir avec moi.

Je suis venue voir et je suis restée, c’était il y a bientôt 10 ans. Je suis restée pour l’homme bien sûr mais aussi parce qu’il avait raison ; ici il y a des gens qui croient qu’un autre monde est possible si on s’applique à le faire vivre, ici il y a des gens qui disent On ne changera pas le monde, mais on peut lui dessiner un sourire.