a. Josiane : une vie nouvelle.

— « Là où je t'emmènerai… » et puis il s'était tu. Nous savions tous qu'il n'y avait plus nulle part où aller. Sauf là peut-être. Mais qui en a eu l'audace. Personne jusqu'à présent. Pas même lui. Pourtant tout le monde le sait valeureux. Un exemple. Un phare. Aurait-il renoncé ? Lui l'Espérant. Lui le Persuasif. Lui qui aurait convaincu l'incrédule, fait du sceptique un adepte, du douteux un esprit fort.

Là où je t'emmènerai… mais avait-il lui-même une quelconque idée du lieu du rendez-vous, du chemin à prendre, des impasses à éviter, des fourvoiements désastreux. On avait tout essayé, tenté l'audacieux, osé le simple, risqué l'imparable, voulu l'impossible. Rien n'avait fonctionné.

Alors, qu'est-ce qu'il me bassinait encore avec son optimisme décourageant ! Comment pouvait-il penser que j'allais une fois encore mordre à l'hameçon qui m'avait déjà déchirée. Et cependant, comme venant d'ailleurs d'un endroit dont j'ignorais tout, je me suis entendue lui répondre :
— « Oui, je t'en supplie, mon amour, emmène-moi, allons-y, tentons encore, l'impossible réalisable. Je te crois. Tu sais combien j'ai toujours eu confiance en toi, à quel point je t'ai dans la peau. Déjà, avec toi, je suis allée au bout du monde. Enfin, là, cet endroit où tu as prétendu que c'était la fin. Qu'il n'y avait plus qu'à se prendre par la main amoureusement et sauter dans le vide sidéral vers la nuit lumineuse qui nous attendait ».

J'ai fermé les yeux et j'ai sauté en lui prenant la main. Alors j'ai ressenti la flottaison du bonheur, la puissance des forces invisibles. Légère, je suis devenue Plume.

Une métamorphose. C'était il y a longtemps, enfin il me semble. Ne me demandez pas des explications quant à ce phénomène, j'en serais bien incapable Depuis lors je vis et me nourris dans l'encrier, légèrement penchée je l'observe lui, tendrement. Enfin « lui »… je ne m'y suis pas encore faite pleinement à sa propre métamorphose. Lui, c'est désormais Josiane  dont je suis Plume de l'encrier. Lui/Elle n'a plus qu'à me saisir délicatement d'une main souple et qui se laisse faire. Josiane est subjuguée de me voir guider sa main et courir moi-même sur le papier avec détermination. Elle se croit écrivaine, elle n'est que mon instrument. Métamorphose encore. c'est moi seul qui suis Plume qui suis l'âme Josiane qui lui prête vie. À présent, moi, Plume, je guide son existence heure par heure. Quand elle n'écrit pas en me saisissant, elle disparaît et rejoint l'abîme où j'étais avant. Il fut un temps où on croyait tout créer, tout transformer par le Verbe Écrit comme il est dit dans les Livres Sacrés. Maintenant Plume/Josiane sait qu'il n'en est rien. Désormais j'écris et même j'ai appris à dessiner car on ne changera pas le monde, mais on peut lui dessiner un sourire.