A- Il reprend du service

Il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions, c’est ma devise et encore une fois je vais résoudre ce crime cette énigme avant même que ne sonne l’heure du thé. Chassez ce journaliste qui me prend en photo, je n’aime pas être dérangé en plein travail.

Que diable ! Bien sûr que je suis Hercule Poirot, quelle question absurde. Ce que je fais là ? J’ai accouru à la demande expresse de mon amie Elisabeth afin de résoudre un problème qui met toute l’Angleterre en émoi. Notre chère Big Ben a déraillé cette nuit même et pour la première fois depuis 1859, elle n’a pas sonné la bonne heure. De quoi mettre en émoi la reine et tous ses sujets. Je suis en train de vérifier l’horloge, je suis sûr que ça vient de là.

Mais oui, bon sang, mais c’est bien sûr : une heure entière a disparu durant la nuit. Je n’ai plus qu’à rechercher les indices qui me mettront sur la piste du voleur. Il ne doit pas être bien loin, les portes ont été verrouillées dès que le gardien a entendu la cloche sonner trois heures, au lieu de sonner deux heures, comme toutes les nuits à cette heure-là.

Les assassins ? Je ne cours plus après depuis bien longtemps, ce n’est plus de mon âge. Je me contente de résoudre quelques énigmes par ci par là, histoire de ne pas perdre la main. Et je suis fier de pouvoir dire que jusqu’à présent et depuis le tout début de ma carrière, je n’ai connu aucun échec. Je suis brillant et avec moi un problème sans solution est tout simplement un problème mal posé. Mon regard aiguisé et mon esprit d’analyse me permettent en toutes circonstances de trouver ce qui cloche, de remettre les pièces du puzzle à leur place, et de trouver l’assassin, le voleur, le menteur, bref, le coupable.

Mon amie Agatha l’a bien compris, elle a d’ailleurs fait de moi le héros de la plupart de ses livres et grâce à elle, ici en Angleterre et partout dans le monde je suis connu comme étant le plus grand détective de tous les temps, n’en déplaise à ma concurrente directe Miss Marple qui, bien que très douée, ne m’arrive pas à la moustache.

Mais revenons à cette horloge. Là, sur ce rebord, je connais cette marque. Bon sang mais c’est bien sûr la trace d’une seconde. Et là, encore une. Et au pied de l’échelle il y en a d’autres. Il semblerait que le voleur, trop pressé, ait perdu une partie de son butin dans sa fuite. Suivons ces traces…

Bizarre, vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre ! Ces indices me mènent jusqu’à une porte. Un placard où se serait caché le coupable ? Non, un bureau. Sur la porte est écrit : Préposé heures de nuit. J’entends du bruit, j’ouvre et me trouve nez à nez avec un jeune homme qui sursaute en me voyant.

- Monsieur Poirot ?

- Lui-même, vous avez l’air surpris de me voir.

- C’est que je vous connais de réputation et c’est un honneur de vous rencontrer. Y aurait-il eu un crime commis dans cette enceinte ?

- Non monsieur, un vol tout au plus, et je crois tenir le coupable.

- Cela ne m’étonne pas de vous, on dit que vous êtes le meilleur détective du royaume. Mais où est le coupable, et de quoi est-il accusé ? Avez-vous besoin de moi? Je serai ravi de vous aider, bien que je ne sois au courant d’aucun vol ayant eu lieu ici-même.

- Vous êtes pourtant le mieux placé pour m’en parler !

- Moi ? Je n’ai pratiquement pas bougé de ce bureau cette nuit, à part…

- A part pour vous glisser derrière l’horloge et voler une heure, la deuxième exactement. Ne niez pas, les traces mènent à votre bureau, et vous avez les doigts encore tâchés des quelques secondes que vous n’avez pas eu le temps de faire disparaître.

- J’avoue Mr Poirot, c’est bien moi, mais vous vous méprenez…

- Ne soyez pas vulgaire !

- C’est que, Monsieur Poirot, cette heure, je ne l’ai pas volée, je l’ai simplement enlevée.

- Et ce n’est pas la même chose ?

- Non, Monsieur Poirot, d’ailleurs regardez, je l’ai déposé dans ce coffre, voyez par vous-même.

- Faute avouée, à demi pardonnée Monsieur le préposé. J’aime votre franchise et si vous remettez l’objet du délit à sa place, place qu’il n’aurait jamais dû quitter, je mettrai cet incident sur le compte d’un oubli de votre part. Vous aurez voulu réparer cette heure incomplète, vous l’avez prise pour y rajouter quelques secondes manquantes, et vous vous êtes assoupi, oubliant votre devoir. Il suffit à présent de corriger cet oubli malheureux et nous nous serrerons la main. J’ai encore le temps de me rendre au palais pour le thé du matin avec mon amie Elisab…

- Mais Monsieur Poirot, il n’en est pas question !

- Plaît-il ?

- Je vous promets de remettre l’heure à sa place, mais au moment voulu.

- Et quel moment serait à votre convenance ?

- Dans sept mois Monsieur Poirot, comme le stipule la circulaire envoyée par la chambre des communes.


Ce jour-là, à neuf heures précisément, Hercule Poirot alla prendre le thé avec son amie Elisabeth. Durant leur conversation, il lui précisa qu’il avait résolu le problème, une histoire de quelques dizaines de minutes égarées mais qu’on finirait bien par retrouver. De toute façon cela ne changerait pas la face du monde. Il en profita pour lui dire que cette fois c’était sûr, il prenait définitivement sa retraite.