A. Le voyage en Tunisie

Maggie avait accepté d’accompagner son amie Daisy par lassitude. Cela faisait des semaines qu’elle la tannait pour ce voyage. Maggie n’aimait pas partir, surtout en groupe, elle préférait rester seule, mais Daisy lui disait que la solitude ce n’était pas bon pour le moral. Depuis qu’elle avait perdu son mari, elle l’avait inscrite au club de jeux de société, au cercle de lecture de la bibliothèque, à l’association d’aide aux devoirs des écoliers, bref, elle n’avait plus une minute à elle et, maintenant, ce voyage en Tunisie.

Avec le groupe des « veuves joyeuses » comme elle les appelait, elles étaient allées à Heathrow en autocar sous la pluie. Pour la première fois de sa vie, elle avait pris l’avion. Quelle sensation au décollage ! Et en seulement trois heures, elles atterrissaient déjà à Tunis Cathage.
A la sortie de l’appareil, elles furent saisies par la chaleur de juin. Après les formalités de douane, un car les conduisit à l’hôtel à Port-el-Kantaoui près de Sousse. Le Marhaba Palace était une imposante bâtisse blanche face à la mer. Chaque chambre disposait d’un balcon loggia. Maggie s’enthousiasma pour cet espace de repos, loin du groupe. Aussi, lorsque son amie lui proposa de descendre prendre un thé, elle lui suggéra de le commander sur la loggia et Daisy, pas mécontente de souffler, admit qu’un peu de calme lui ferait du bien.
Avant même de déballer leurs valises, elles s’installèrent dans ce petit havre de tranquillité et de fraicheur, face à la mer turquoise qui scintillait au soleil.
On leur porta un délicieux thé à la menthe très sucré, agrémenté d’amandes grillées et de pâtisseries orientales.
Daisy consultait le dépliant touristique qui leur avait été remis à l’accueil. Elle cochait au crayon les excursions qui lui plaisaient : visite de souks, musée, grande mosquée.

Des terrasses de la plage, leur parvenaient les éclats de voix de quelques « veuves joyeuses » attablées autour d’un verre. D’autres avaient retroussé le bas de leurs pantalons ou relevé leur jupe pour tremper le bout de leur pied dans l’eau. Elles s’extasiaient car elles la trouvaient si chaude.
Un peu plus loin, autour d’une piscine démesurée, se prélassaient des sirènes alanguies en maillots aux couleurs voyantes.

Maggie aurait pu rester des heures à regarder ainsi les gens en ne pensant à rien et en laissant son esprit vagabonder.
C’est alors qu’elle vit un touriste en short et chemise bariolée tenant un parasol, s’avancer sur la plage. Il laissa glisser le parasol sur le sable et en sortit quelque chose qui ressemblait à un fusil. Maggy se demanda de quoi il s’agissait, il lui semblait bien voir une arme mais elle n’en était pas sure. Soudain l’homme se mit à tirer dans tous les sens. Maggy et Daisy se levèrent d’un bond. Elles se jetèrent sans réfléchir dans les bras l’une de l’autre comme pour se protéger. Ce qu’elles voyaient leur semblait complètement irréel. Elles se ruèrent à l’intérieur, glacées d’effroi. Tremblantes, elles entendaient des hurlements et toujours ces tirs continus. Une terrible odeur de poudre envahissait l’espace. On courait dans les couloirs. On entendait du personnel crier en arabe. Ces minutes leur parurent interminables. Soudain une terrible explosion fit trembler les murs de l’hôtel et puis plus rien, un silence glacial.

Le 25 juin 2015, un jeune tunisien de 23 ans tira sur la plage de l’hôtel Marhaba avec une Kalachnikov puis lança une grenade autour de la piscine.
Il y eut 39 morts et 39 blessés.
Il fut à son tour abattu.
L’organisation Etat Islamique revendiqua l’attentat.

Une minute plus tôt il ne se passait rien et la vie coulait, lente et paisible.