A- Lettre à mon fils

Courage, je t’écris. Je ne sais pas si cette lettre te parviendra ni dans combien de temps tu la recevras. Ici, tout est contrôlé et censuré. Ici tout est d’une lenteur considérable. Je t’envoie cette lettre comme on jette une bouteille à la mer. Pourtant, ici il n’y a pas de mer, je ne vois pas l’horizon. Ma vue s’arrête aux murs de ma geôle et à ceux de la cour de promenade.
Tu as six ans aujourd’hui, tu dois apprendre à lire. Alors j’ai pensé que tu pourrais me lire ou que quelqu’un le ferait.

Je ne sais pas ce qu’on t’a dit de moi. Ce que tu dois savoir, c’est que ce qui m’a mené ici, je l’ai fait pour manger. Certes, ce n’était pas légal, je suis un hors-la-loi, mais cela ne fait pas de moi un monstre.
Je pense chaque jour à toi. Je pense au peu de temps que nous avons passé ensemble. À ce que je n’ai pas fait, à ce que j’aurais pu faire. Je n’ai que des regrets.

Je pense au jour où ta mère m’a annoncé qu’elle était enceinte. Le plus beau jour de ma vie. Et, lorsque je t’ai tenu dans mes bras, minuscule, pour la première fois, je me suis senti devenir grand. J’ai pensé : me voila adulte. Fini le temps des petits boulots à droite et à gauche, des mauvaises fréquentations. J’ai trouvé un travail stable mais loin de chez nous. Je me levais très tôt et devais faire une heure de route. Je partais la nuit et revenais la nuit. Je te voyais si peu.

Peu à peu, tout est devenu très difficile. L’argent a manqué. Trop de frais. Je dépensais plus en essence qu’en nourriture. J’ai fini par dormir sur place dans la voiture. Je m’enroulais dans un sac de couchage. Au matin, la buée dégoulinait sur les vitres et le plafond. Je ne prenais qu’un repas par jour pour économiser et ne rentrais que le week-end chez nous. Ta mère en a eu assez de cette vie. Elle est partie avec toi et je ne t’ai plus revu.

S’il te plait, fais ton possible pour bien travailler en classe. Je voudrais tellement que tu t’en sortes mieux que moi. Je n’ai pas eu de parents pour me dire qu’il faut prendre l’école au sérieux. Je ne savais pas que mon avenir en dépendait. Je regrette maintenant de ne pas avoir bien appris, de ne pas avoir écouté mon instituteur. J’aimerais revenir au temps où mon seul souci était de savoir comment colorier mon dessin.

Maintenant, ici, j’ai la possibilité de faire des études. J’apprends l’histoire, c’est ce que je préfère. Je lis beaucoup de livres, cela me permet de supporter la longueur des jours. Lorsque je sortirai d’ici, j’espère avoir un bon métier qui me permettrait de t’aider.

J’espère que tu pourras lire cette lettre et me répondre si tu en as envie, quand tu sauras bien écrire.

N’oublie pas que je pense à toi chaque jour.

Papa qui t’aime.