A. Propos de lavandières

Ce matin, elles ne sont que quatre au lavoir, il manque Lucette.

- Déjà la semaine dernière elle n’est pas venue, s’écrie Suzanne, elle ne serait pas malade ?

-  Mais non, répond Marie, je l’ai vue hier au marché, elle allait très bien.

-  Elle ne lave plus son linge alors ?

-  Ou alors elle a finit par acheter une machine à laver.

-  Ça coute trop cher, elle n’a pas les moyens.

-  Elle , elle n’a pas les moyens mais son fils, tu sais qu’il est pharmacien à Lyon maintenant ? C’est peut-être lui qui le lui a achetée !

-  Pharmacien, son fils ? C’est pas possible !

-  Oui, madame, pharmacien. Il a fait de longues études, lui, c’est pas comme nos garçons qui n’ont rien fichu à l’école.

-  Oui mais nous on n’avait pas les moyens de leur payer des études.

-  Lucie non plus et pourtant …

-  N’empêche que nos garçons n’ont pas fait de grandes études mais ils sont heureux, eux.

-  Pourquoi, tu penses que le fils de Lucette n’est pas heureux ?

-  Ben, on ne le voit pas souvent au village alors que nos fils y sont toujours.

-  Le fils de Lucette, on ne le trouve qu’en pharmacie ! S’exclame Marie en pouffant de rire, fière de son bon mot.

Mais les autres n’ont pas saisi et continuent leur enquête.

-  Si Lucette a une machine à laver, elle l’étend où son linge ? On ne la voit pas non plus à la corde à linge de la place des lavandières.

-  Elle n’aurait pas un sèche-linge quand même ?

-  Un sèche- linge ? Ça existe ça ?

-  Ça existe chez les Américains, j’ai vu des photos dans le Rider’s digest.

-  Son fils serait allé en Amérique alors ?

-  Tiens, regarde, quand on parle du loup ! Il est là l’Américain !

 -  Ça alors ! Mais oui, c’est bien lui ! Il est bien bronzé dis-donc, surement le soleil de Californie !

-  Ah j’aimerais bien aller en Amérique moi ! Mais je n’irai jamais, le voyage  couterait trop cher.

 -  Moi j’aurais trop peur de prendre l’avion.

 -  A quoi ça sert d’aller en Amérique ? On ne connait même pas la moitié de notre région !

-  Pour l’aventure, le dépaysement, rencontrer Steeve Mac Queen et Liz Taylor…

-  Il fallait épouser un Américain quand ils ont débarqué pendant la guerre !

-  Oui, d’ailleurs on se demande toujours qui est le père du fils de Lucette. Ça serait un GI Américain que ça ne m’étonnerait pas.

-  Ah je comprends tout ! Lucette a du garder des liens avec lui et il a du financer les études du petit.

-  Et c’est pour ça que le fiston va régulièrement en Amérique.

 -  Pourquoi ils ne sont pas restés ensemble alors ?

 -  Ben réfléchis ! Il doit être marié !

-  Ah c’est triste pour ce pauvre garçon, le fils caché qui doit partager son père avec une autre famille et aller si loin pour le voir.

-  Tu vois, Suzanne, nos fils à nous ils n’ont pas fait d’études et nous n’avons pas de machine à laver mais, au moins, ils ont un père ici et on est bien là à discuter ensemble alors que Lucie doit s’ennuyer toute seule face à sa machine.

Un dialogue très savoureux.
Particulièrement authentique et joli reflet d'une époque.
Et qui porte à la réflexion.
Et plus tard ce sera Moulinex qui libérera la femme…
… enfin, qui d'une certaine manière l'enfermera autrement !

Ces conversations sont très imagées.
Je trouve qu'en lisant tes phrases, on entend les coups de battoirs, les brosses qui insistent sur les taches et le souffle court des lavandières qui, malgré leur dûr labeur, ne s'arrêtent pas de papoter!

Ces femmes ne sont pas envieuses et profitent de ce moment ensemble pour discuter et parfois médire les gens du village , c'était un lieu de rencontre .

L'art et la manière de refaire la généalogie !

On s'y croirait ! Toute une époque retracée dans ces potins, assez cruels quand même ! Pauvre Lucette, malgré ses machines, pas de copine, pas de mari !
Elle a fauté, elle doit payé !
Quelle mentalité, tu es une fine psychologue, Myrte !