A - A Montmartre

Je m’étais installée à la terrasse de ce petit troquet au cœur de Montmartre. Je sirotais mon jus d’ananas en grignotant un macaron lorsque deux jeunes gens se sont croisés devant ma table. Ils avaient tous les deux un aspect éthéré qui m’a intriguée. Comme si leurs visages, leur manière d’être n’étaient pas en adéquation avec notre époque. D’ailleurs, pas de smartphone greffé à leur main. Rien que pour cela, je ne pus m’empêcher de les observer.

Le jeune homme, un rouquin barbu avec une blessure à l’oreille, adressa quelques mots à la demoiselle. Elle portait une curieuse coiffe qui tenait vaguement du turban.

Timidement, ils s’installèrent face à face et commandèrent café et thé. Ils restèrent sans parler le temps que leurs consommations arrivent.
Puis, la demoiselle entama la conversation et je tendis une oreille indiscrète et intéressée.

- C’est gentil de m’avoir invitée.
- Je vous en prie. Je me disais que nous avions pas mal de points en commun. Et puis, vous sembliez un peu perdue.
- Pour tout vous dire, si j’ai accepté de venir avec vous, c’est pour la même raison.
- Vous étiez perdue ?
- Non, il me semblait que c’est vous qui l’étiez.
- Vous n’avez pas tort.
- Vous non plus.
- Et si nous commencions par le commencement.
- C’est généralement le mieux.
- Comment vous prénommez-vous ?
- Il me semble que c’est Perle. Et vous-même ?
- Je crois que c’est quelque chose comme Van ou Vin.

Entendant cela, je fus interloquée. Quelle chance y avait-il que deux amnésiques se rencontrent. Pas étonnant qu’ils se sentent perdus. Toutefois, cette révélation ne sembla pas les perturber. Imperturbables, ils sirotèrent un instant leurs boissons et reprirent leur conversation.

- D’où venez-vous Perle ?
- De quelque part dans le Nord. Et vous-même ?
- J’ai pas mal bougé. Parti du Nord, je reviens du Sud.

Bien malgré moi, la chanson de Michel Fugain s’invita dans ma tête. Allais-je assister à une belle histoire entre ces deux étranges jeunes gens ?
Du coin de l’œil, je ne pouvais pas m’empêcher de les détailler. Ils avaient, l'un comme l’autre, quelque chose de familier, mais pour l’instant, j'étais trop concentrée sur leur conversation pour y réfléchir.

- Si je ne suis pas trop indiscret, d’où tenez-vous cette superbe perle que vous portez à l’oreille ?
- Il me semble l’avoir toujours eu. Et vous-même, cette blessure à l’oreille ne vous fait-elle pas trop souffrir ?
- Non, d’autant que je ne me souviens même pas comment et qui me la faite.

Ils restèrent un moment, les yeux dans le vide. Leur immobilité de statue était assez déstabilisante. Puis leurs échanges reprirent.

- Qu’aviez-vous prévu de faire dans cette ville, Perle ?
- Rien je crois. Et vous-même Van ?
- Rien non plus.
- Je constate que nous avons les mêmes objectifs.

Rien comme objectif, voilà un concept que j’avais un peu de mal à assimiler. Les jeunes gens, quant à eux, paraissaient à l’aise avec cette idée, ce qui dans notre monde toujours en mouvement était assez rafraîchissant.

- Je suis toutefois attiré par un endroit, reprit Van.
- Ah ! Lequel ?
- C’est un mot qui tourne dans ma tête depuis un moment.
- Le Louvres ?
- Comment avez-vous deviné ?
- Il tourne dans la mienne aussi.
- Et si nous y allions ?
- Cela me paraît une bonne idée. Mais, savez-vous de quoi il s’agit ?
- Aucunement, nous aurons la surprise.

Ils se levèrent, me saluèrent et reprirent leur route ensemble.
Alors qu’ahurie par cette conversation surréaliste, je les suivais des yeux et qu’ils s’évanouissaient petit à petit, la mémoire me revint. La Demoiselle à la Perle avait rencontré Van Gogh.