A1 - Mémé Célestine, Pépé Athanase et les rides

« Les rides sont des sourires gravés. »

« Tu parles d'une maxime idiote » râle une des petites filles adolescentes de Mémé Célestine et Pépé Athanase, en se mirant dans la glace de l'entrée.

Mémé Célestine qui passait par là s'arrête et s'approche de la demoiselle.

« Eh bien ma chérie, pourquoi serait-ce une maxime idiote ? »

« Ben quoi, c'est moche les rides ! » s'exclame la jouvencelle, oublieuse de l'âge canonique de ses grands-parents. « Oups » se reprend-elle « je veux dire les rides moches, hein, pas les rides belles comme les tiennes ! »

Mémé Célestine regarde la péronnelle de haut en bas, avec un sourire de biais sur les lèvres.

« Ah ! » rigole-t-elle « j'ai de belles rides ? »

La jeune fille a la bonne idée de piquer un fard et continue joyeusement à s'enfoncer « Ben, euh, je voulais dire que toi, j'ai l'habitude. »

« Ah, avec moi tu as l'habitude, mais tu n'as pas l'habitude avec qui alors ? »

« Avec moi, tiens ! »

« Avec toi, mais ma chérie tu as une peau de pêche. »

« Mais non, regarde bien, là, tu vois au coin de l'oeil, c'est bien une ride que j'ai ! »

Mémé Célestine chausse ses lunettes et regarde de plus près le corps du délit.
« Elle est toute petite, petite voyons, tu n'es pas défigurée quand même ! »

« Mais ça va venir » se lamente la damoiselle.

« Oui, bien sûr, comme moi » réplique pince-sans-rire Mémé Célestine.

« … … ... » bafouille la jeune miss.

Mémé Célestine entoure sa petite-fille de son bras et se penchant avec elle sur le miroir elle lui explique en lui détaillant la carte de ses rides :

« Ici, tu vois cette ride là je l'ai attrapée lorsque Pépé Athanase m'a souri pour la première fois, celle-ci c'est lorsqu'il m'a embrassée pour la première fois, et puis il y a aussi les rides de joie de notre mariage, de la venue au monde de ta maman, de ton oncle, de leurs premiers rires, il y a également celles de ta naissance et de celles de tes cousines et cousins, de tes petites-cousines. Il y a gravé autour de ma bouche toutes les petites rides de nos baisers échangés, de nos confidences partagées. Bien sûr il y aussi, celles de mon front lorsque j'ai eu peur pour vous tous, celles des peines causées par les disparitions de mes proches ou de certains de mes amis. Mais tu sais ma chérie, je ne regrette aucune de ces rides, elles font partie de moi et me racontent des histoires, la mienne et les vôtres, j'aime aussi tant celles de ton grand-père qui me disent combien il nous aime tous. »

Il y a un petit moment tout calme, juste troublé par le doux glissement d'une larme au coin de l'oeil de sa petite-fille, puis elle reprend, taquine « Alors dis-moi mon cœur, cette ride elle ne voudrait pas dire qu'il y a quelque part un jeune homme qui te plaît, un peu, beaucoup, passionnément ? »

La belle couleur pivoine qui envahit le frais minois de la demoiselle suffit à la renseigner. Voilà une première petite ride-sourire adoptée avec bonheur.

Dans l'encoignure de la porte, Pépé Athanase sourit lui aussi devant le gros bon sens de sa chère épouse et une histoire se met doucement à naître dans sa tête.