A - Pépé Athanase raconte

Pépé Athanase est tranquillement en train de vaquer à ses occupations quand il manque d’être renversé par un petit rouquin tout énervé et à deux doigts d’éclater en sanglots.
— Que t’arrive-t-il mon bonhomme, s’inquiète-t-il.
— C’est Romain, il est pas gentil.
— Et pourquoi il est méchant ton cousin ?
— La cabane dans le jardin, tu l’as bien construite pour nous tous, hein ?
— Oui, bien sûr.
— Ben y veut pas que j’y entre, y dit que c’est que la sienne, répond le petiot, la lippe tremblante.

Mémé Célestine qui a entendu, hoche la tête d’un air entendu. Il était temps de préparer une petite citronnade.
Il est quatre heures, l’heure du goûter et Pépé Athanase frappe dans les mains pour rassembler la petite troupe de ses arrières-petits-enfants.

Lorsque tout le monde est rentré, les mains bien lavées et pourvues d’une bonne tartine de confiture, il s’installe dans son fauteuil.
Les enfants se poussent du coude, super quand Pépé s’installe là ça veut dire qu’une histoire arrive. Ils s’asseyent donc tous sagement et attendent tout en dévorant le goûter.

« Il y a bien longtemps, commence Pépé Athanase, dans un coin de montagne perdu loin de tout, il y avait un petit village et dans ce petit village, il y avait un jeune garçon qui était un vrai chenapan. C’était le petit dernier de la famille et le coquin en profitait pour n’en faire qu’à sa tête.
Hochements de tête réprobateurs dans l’assistance.
Un jour, un de ses cousins et lui, allèrent se promener plus loin que d’habitude et ils tombèrent sur une vieille cabane à moitié effondrée. Curieusement, seule la porte tenait encore bien droit. Les cousins s’en approchèrent en se chamaillant, l’un comme l’autre voulant franchir cette drôle de porte le premier. Notre garnement repoussa son cousin en décrétant « c’est ma cabane », il ouvrit la porte et fut aspiré à l’intérieur.
L’autre garçon se précipita de l’autre côté, il avait peur que son cousin n’ait glissé dans un trou, mais de l’autre côté, rien, personne. Il retourna à la porte, l’ouvrit à son tour, mais derrière il n’y avait qu’une vue sur la montagne au loin.
Mort de peur, il rentra en courant au village. Tous les habitants se déplacèrent et cherchèrent le disparu. Mais rien. Le temps passait et régulièrement le cousin restant retournait à la cabane et en ouvrait la porte espérant retrouver son ami. »

Pépé Athanase fait une petite pause, se réinstalle bien au fond de son fauteuil et regarde son auditoire.

Le petit rouquin l’interroge d’une petite voix « Et alors, il est revenu ? »
« J’y viens, j’y viens. Donc pendant que tout le monde s’inquiète, qu’a-t-il bien pu arriver à notre disparu ? »
« Il a été enlevé par des extra-terrestres ? »
« Ça existe pas les extra-terrestres, moi je dis que c’est des fées qui l’ont pris ! »
« N’importe quoi des fées, et pis quoi encore. Il a été tout dissout comme un comprimé dans de l’eau. »

Pépé Athanase tonne.
« Qui raconte ici ? Vous ou moi ? »
« Toi, toi, la suite, s’il te plait. »

« Bien, alors voilà où était passé notre fripon. En franchissant le seuil, il était arrivé dans un village inconnu. Derrière lui, la porte avait disparu et il était bien embêté. Alors, il se mit à frapper aux portes des maisons. Personne ne lui ouvrit et il se mit à pleurer. Ses sanglots émurent un habitant qui l’invita à entrer. Notre garçon tout content entra et réclama à manger. »

« Euh, il est drôlement gonflé quand même ! »

« En effet et d’ailleurs son hôte le lui fit remarquer vertement. « Sous le même toit, l’invité dit bonjour. ». Un peu penaud, mais boudeur, l’enfant dit bonjour et il se retrouva dehors. Tout interloqué il frappa, la porte s’ouvrit et il entra de la même manière, en terrain conquis. « Sous le même toit, l’invité dit bonjour. ». Le manège se reproduisit à plusieurs reprises et enfin, la leçon fut apprise. Il frappa, on lui ouvrit, il dit bonjour et fut invité à manger. Là encore, il se comporta mal et à nouveau, il se retrouva dehors. Après bien des tentatives, il put rester dans la maison, y manger et s’y reposer. Mais ses épreuves n’étaient pas terminées.
Il alla ainsi de maison en maison, cherchant un moyen de rentrer chez lui. Dans chaque demeure, il dû apprendre durement une leçon. « Sous le même toit, l’invité aide à faire la vaisselle. » « Sous le même toit, l’invité fait son lit. » « Sous le même toit, l’invité apprend à lire. ». Cela dura longtemps parce qu’il avait la tête dure. Petit à petit, les leçons portèrent leurs fruits et l’idée de rentrer chez lui qui avait disparu petit à petit, revint le titiller. »

« Ça veut dire quoi titiller ? »
« Ça veut dire chatouiller. »
« Mais comment une idée elle peut chatouiller, c’est bizarre ça ! »
« Tais-toi, laisse Pépé raconter. Alors, il a trouvé la bonne porte ? »

Alors que Pépé Athanase va pour reprendre son histoire, Mémé Célestine lui apporte un grand verre de citronnade. Que Pépé déguste gorgée après gorgée, sans se presser, laissant son auditoire trépigner d’impatience. Par-dessus les petites têtes brunes, blondes ou rousses, Mémé Célestine adresse un clin d’œil amusé à son cher époux. Ils ont l’art et la manière de capter l’attention tous les deux. Pépé Athanase finit par avoir pitié de l’assistance et reprend son histoire.
 
« Un jour, l’un de ses hôtes l’emmena dans la montagne et il se retrouva devant une porte, dressée toute seule au milieu du pré. « Il est temps pour toi de repartir, mais n’oublie pas nos leçons. ».
Le garçon poussa la porte et il se retrouva nez à nez avec son cousin devenu un jeune homme. Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre et rentrèrent au village et tout le monde voulu savoir où il était passé tout ce temps. Il lui fallut un moment pour s’apercevoir qu’il avait, lui aussi, vieilli. Il fut très triste à l’idée d’avoir perdu tant de temps avec les gens qu’il aimait simplement parce qu’il n’avait pas été capable de vivre en paix sous le même toit. Une chose est sûre il devint un homme aimable et serviable que tout le monde appréciait. Voilà, les enfants, mon histoire est terminée. »

Romain attrape la main de son cousin et lui murmure « Tu viens, allons jouer sous le même toit dans la cabane. »
Mémé Célestine et Pépé Athanase se sourient tout en trinquant avec un nouveau verre de citronnade.