A. Les lavandières

Bras dessus, bras dessous nous marchons vers la fontaine, gaies comme des pinsons en ce jour-là. Panier de linge sous le bras, savon noir, battoir et brosse de chiendent au-dessus allez hop au lavoir !
Insérons nous au milieu des autres lavandières, agenouillons nous dans notre carrosse, les genoux bien protégés par une bonne couche de paille et commençons allégrement notre travail. Entre deux coups de battoir, allons-y pour les derniers potins du village.

Plaf ! Plaf ! La Madeleine a accouché d’une petite fille. Elle s’appelle Clémence.

Plaf ! Plaf ! Il parait que le vieil Alphonse a failli mourir cette nuit. C’est la fille du docteur qui me l’a dit. Son père a été appelé en pleine nuit.

Plaf ! Plaf ! Soyons énergiques. Le linge a besoin d’être nettoyé à fond. Brossons, savonnons, battons, rinçons. Brossons, savonnons, battons, rinçons…

Plaf ! Plaf ! La jeune Antoinette, on dit qu’elle est grosse dont on ne sait quel garçon. Il parait qu’elle a été voir la gitane. Vous croyez qu’elle a sorti l’aiguille à tricoter ?

Plaf ! Plaf ! Qu’importe les genoux abîmés et le dos cassé en deux, potinons, médisons, cancanons. C’est tout le plaisir du lavoir.

Plaf ! Plaf ! La gitane elle n’est pas une faiseuse d’ange. Elle tire les cartes, elle prédit l’avenir. Enfin c’est ce qu’on dit.

Plaf ! Plaf ! La gitane on ne la voit jamais. Toujours cachée dans sa cabane au fond du bois.

Plaf ! Plaf ! Et nous notre avenir on aimerait bien le savoir.

Plaf ! Plaf ! Rangeons le linge, le savon noir, la brosse de chiendent, le battoir et bras dessus, bras dessous, allons voir la gitane gaies comme des pinsons.

Toquons à la porte. Allons, allons, courage ! Entrons, elle ne va pas nous ensorceler !
Foulard bariolé au cou, qu’elle est belle ! Belle comme un arc en ciel après l’orage. C’est pas honnête d’être aussi belle. Méfions-nous d’elle. Qu’elle ne nous prenne pas nos hommes.
Osons nous asseoir, osons lui demander de nous tirer les cartes. Osons connaitre notre avenir.

Pour moi la carte de l’amour. Un beau jeune homme, étranger au village. Le soleil, un bateau. Un voyage peut être loin d’ici, loin du lavoir. Un enfant, peut être plus. Sourions à cette prédiction. Sourions à cet avenir radieux.

Pour toi, la carte du Roi et celle de la tempête. Autoritaire, violent. C’est lui, c’est ton mari. La main de la gitane s’arrête sur la carte qu’elle vient juste de tirer. Retenons notre souffle, réprimons notre peur. La gitane pose la carte : la mort sur le Roi. Une autre carte, celle de la richesse, du luxe. Ce qu’on raconte dans le village serait-il vrai ? Ton mari aurait-il un trésor caché ? Rien ne pourrait t’arriver de mieux que la mort de ton mari.

Fin de la consultation. La gitane se relève et nous offre un petit verre de Côtes du Rhône. Buvons, payons, remercions, et repartons des étoiles plein les yeux.
Reprenons linge, battoir, brosse à chiendent, savon noir et rentrons bras dessus, bras dessous, gaies comme deux moineaux sur la même branche.

Texte bien enlevé au rythme des battoirs. On voit très bien ces lavandières du temps passé. Idée originale. Bravo.

En lisant ce texte, je voyais un tableau.
Tout est tellement bien décrit dans les moindres détails!

alainx a écrit:
[size=16]Heureusement désormais on a Facebook et les réseaux sociaux ! ! On peut continuer à dire du mal de son prochain… pendant un moment j'ai eu peur que ça s'arrête…

Pour sûr que tu as raison !!!

J'aime beaucoup ton texte, Sherkane, rythmé au son des "Plaf ! Plaf !" !

Un texte très imagé, on s'y croirait !

C'est un bel hommage au dur labeur de ces femmes d'autrefois.

Très chouette et deux histoires en un seul texte, celui avec le passage au lavoir et celui chez la gitane