Je suis un dompteur de papier, auraient pu s’écrier ces servants d’énormes machines au bout desquelles s’enroulaient les bobines.
En 1970, les chûtes de carton aspirées dans une tuyauterie qui, traversant l’usine, dégringolaient aux pieds d’ hommes qui devaient manger leur aise de poussière. A côté d’eux, un énorme malaxeur transformaient les brins de papier en pâte. Canalisée vers l’antique machine à papier, elle circulait sur des feutres avant de terminer en bobine de kraft.
L’onduleuse se chargeait ensuite de coller, superposées, trois couches de papier - voire cinq s’il s’agissait de « double double ». Voilà, à l’époque, le cheminement du papier-carton. Pour ma part, conducteur de slooter, mon rôle consistait à installer des outils de découpe ou refouloirs sur la «380 », elle aussi, antique bécane dont l’équipage était international : un Espagnol, un Yougoslave et deux Français dont le chef de machine. Quelques années plus tôt, il avait eu la main droite quasi écorchée entre deux rouleaux.
Le papier … Il m’a suivi la plus grande partie de ma vie. Ne disait-on pas vers le 1er janvier, au moment des élections qu’on « marchait sur le papier ». Oui, parce qu’en ce temps-là, vers la fin de l’année, on s’adressait les bon vœux sous formes de cartes de bonne année. Et en période électorale, on véhiculait les cartes d’électeurs et professions de foi. C’était le bon temps des PTT quand tout le monde écrivait. De l’huissier au curé, de l’amoureux au percepteur, de la Sécurité Sociale au corbeau, chacun s’évertuait à rendre le facteur irremplaçable. Et au bout de l’an, il y avait les « cartons » . Non pas des emballages mais des calendriers pour lesquels, chacun donnait son obole. De manière générale, ça mettait du beurre dans les épinards … Du facteur, bien sûr !
De retour en province, Haut-Limousin plus précisément, dès les premiers jours, quand le vent soufflait de l’ouest, une forte odeur de choux s’infiltrait partout. Le papier, encore le papier ! Les
1 200 ouvriers papetiers répartis dans deux usines d’une commune voisine, les uns à partir de ballots de recyclé, les autres avec des rondins de bois issus des forêts limousines et charentaises produisaient les ramettes que vous utilisez tous avec vos imprimantes et les autres sortaient des bobines. Ces deux usines fonctionnent encore aujourd’hui. Il est produit de part et d’autre des quantités bien plus importantes qu’à la fin des années 70 … et cela va de soi, du point de vue patronal, avec beaucoup moins de personnel …
Oui, je sais, mon histoire n’est pas marrante pour deux sous mais elle est entièrement véridique …
Machine à papier ancienne
Machine à papier moderne (images google)