La potée de Rosalie
Ils se rencontrèrent par hasard tout près du feu, un matin d’automne, il y a bien longtemps . C’était quand on cuisinait encore son fricot dans une marmite en fonte suspendue à une chaîne accrochée à la paroi de l’âtre.
La Marissou, puisant dans les réserves de l’hiver prochain, avait extirpé du bocal une bonne poignée de fayots, ceux-là même qu’on qualifie de durs à cuire. Pauvre, mais néanmoins fine bouche, la Marissou, prise d’une envie irrépressible soliloquait.
- Il faut prévoir de la place pour Rosalie qui va être au point en janvier prochain. Le Ferdinand, expert en matière de coches qu’il vous découpe en morceaux prêts à mettre sous la graisse, me le disait la semaine dernière :
- T’attends pas pour me demander …
- Tu veux te faire la main sur ma Rosalie ? Tu me feras un prix d’ami ?
- Je me paierais sur la bête.
- Dis donc, Ferdinand, à nos âges, ça ne veut plus dire grand-chose !
- Quoique … La café du pauvre après avoir fait un sort à la potée que tu prépares si bien, je dis pas non … Non,soyons sérieux ! Deux boudins, trois saucisses, quatre côtelettes de ta Rosalie, ça me suffira. Pas d’andouille, ça me donne des aigreurs.
- Non, de plus, ça serait aggraver ton cas.
- Quoi ? Tu m’offenses Marissou !
- Hé ? Toi, tu me fais bien rougir avec ton café du pauvre. Alors, on se connaît assez. Si je te traite d’andouille, c’est gentil .
Mais revenons à nos fayots qui se seraient bien sentis un peu seuls dans la marmite si la Marissou n’eut décidé de se faire une potée. Sait-on jamais ? Par l’odeur alléché, quelqu’un va bien s’inviter, évitant ainsi à l’égoïste de commettre le péché de gourmandise.
Toute à ses pensées, la Marissou ne prit garde au haricot s’échappant de sa main pour s’échouer sur le pavé au coin de la cheminée. Il fut bientôt rejoint par un fétu de paille avant l’arrivée d’une braise projetée du feu guilleret.
Avec entrain, le feu remplissait sa mission qui, ce jour-là, était de mener à son terme la cuisson de la potée.
Dans la marmite, voisinaient en toute convivialité chou, navets, carottes, poireaux, oignons, citrouille sans oublier le petit salé et l’andouille brinquebalés en tous sens par les gros bouillons de l’eau frémissante.
Rosalie, comme à son habitude, vaquait en tous sens, à la recherche de tout élément susceptible de calmer les affres de son estomac sans cesse demandeur. Enfreignant les consignes de Marissou qui, sans raison majeure, faisait de la cuisine son domaine réservé, la coche s’approcha du coin où s’échappait un fumet fort agréable.
Du groin s’apprêtant à soulever le couvercle, Rosalie, par un jet de vapeur dissuasif, allait se rabattre sur le haricot esseulé et son compère le fétu de paille quand par solidarité, la braise lui tint ce discours enflammé :
- Ô toi, Rosalie bedonnante, comment pourrais-tu te contenter de si maigre pitance devant le festin qui t’attend si de patience tu sais t’armer.
Groin levé, Rosalie hésitait devant cette prophétie alléchante quand elle fut bousculée par un grand gaillard qui d’une main, souleva le couvercle de l’oule* et de l’autre jeta au milieu de la potée le contenu du pot de grès qui trônait sur la cheminée.
La Marissou s’attablant avec délectation devant son assiette comble de potée, regretta un court instant de ne point partager son repas avec quelque invité surprise susceptible de la régaler de potins qu’elle ferait un plaisir à répandre aux alentours.
- Fi de garce ! Comment j’ai fait mon compte ? Je n’ai pourtant mis qu’une poignée de sel …
Au coin de l’âtre, haricot et fétu de paille se contorsionnant de rire devant la mine déconfite de la Marissou, emportés par un courant d’air churent dans le feu qui se hâta de mettre fin à leur joie. La braise, quant à elle, éteinte après sa mise en garde à Rosalie, ne vit pas le Drac.
Ce fils du Diable, malin patenté, déversant le pot de sel dans la potée, donnait vigueur à cette maxime « A quelque chose, malheur est bon ». Rosalie, coche toujours affamée, point offusquée de l’excès de sel, fit un sort à la potée de la Marissou. Chaque chose en son temps, bientôt Ferdinand se ferait la main sur la pauvre Rosalie.
* Oule : marmite en fonte à suspendre dans la cheminée
Inspiré librement du conte des frères Grimm « Bout de paille, braise et haricot »