A - Malédiction familiale

u moment de l'impact le cousin Isidore était très tranquillement en train de bêcher son jardin, comment pouvait-il penser que comme un certain dramaturge grec il allait se prendre une tortue sur le crâne ? Bref, autant le dire, la cervelle au milieu des salades, ben ça fait désordre.

Une chose est sûre c'est que ce pauvre Isidore était le dernier en date de la malédiction familiale.

Eh oui, notre famille est maudite depuis qu'un lointain ancêtre a eu la brillante idée de rejoindre l'inquisition histoire de faire frire de malheureuses femmes dont on voulait se débarrasser en les faisant passer pour des sorcières. Manque de chance pour lui, il était tombée sur une vraie sorcière. Ce benêt avait trouvé très rigolo de changer un peu de jeu et au lieu du bûcher il l'avait condamnée à « la peine forte et dure », en gros, vous coincez la victime entre deux planches, comme le jambon dans le sandwich, et vous mettez des pierres dessus jusqu'à ce que « couic ». Bien sûr la chère femme, avant de perdre le souffle, avait lancé une malédiction sur la famille, à savoir que chacun de nous serait écrabouillé comme elle, sympa quand même elle avait ajouté qu'il fallait particulièrement nous méfier à partir de l'âge de 40 ans.

Bon, autant le dire, notre généalogie regorge d'une part d'un pourcentage de suicides non négligeable, certains refusant de vivre dans l'incertitude préfèrent en finir au moment et à la manière de leur choix. Je ne vais pas me permettre de juger du bien fondé de leur démarche parce qu'il faut reconnaître que le moins que l'on puisse dire c'est que le sort s'amuse énormément à nous concocter des fins spectaculaires.

Nous avons notamment eu :

Des crânes percutés par des branches, des linteaux de portes trop bas, des chutes de pierres classiques en montagne ou plus originales avec une clé de voûte qui décida de lâcher prise après 300 ans de bons et loyaux services.

Des crânes troués, le plus célèbre dans la famille étant celui qui d'un troufion qui se grattait la tête avec son pistolet, un faux mouvement est vite arrivé.

Des crânes fracassés suite à une crise de fou rire, on se plie en deux, et paf sur le carrelage (bon remarquez mourir de rire ce n'est pas si mal), une peau de banane mal placée zip et crac, le manteau-parachute n'était pas non plus une très bonne idée.

Il y a aussi eu l'extincteur mal utilisé, le saut à l'élastique avec un élastique trop long, la malle mal arrimée dans un avion, l'oiseau qui volait trop bas, un bras de robot déréglé, une balle de tennis canon, dangereux aussi les ballons de foot, les vélos, les hippopotames, les bottes de foin, le classique piano qui échappe aux déménageurs.

Enfin, bref, des morts ludiques diverses et variées.

Ce qui m'amène à aujourd'hui, j'ai 90 ans, je suis atteint d'un cancer en phase terminale en tout logique, d'après mes médecins, je ne passerai pas la nuit et je suis dans mon lit. Donc je suis en droit de penser que, grâce à moi, la malédiction va bientôt être brisée, j'avoue en être très fier.

Mais c'est quoi ce craquement ? Oh non, le lustre en cristal de la chambre au-dessus de la mienne, c'est pas possible ! Je ferme les yeux et après c'est le trou noir.

(PS – Je précise que certaines des morts exotiques que je cite ont bel et bien eu lieu, merci Wikipédia)