A - Le bonnet

Tout le monde la connait ici au port. Toujours coiffée de son bonnet, elle déambule le long des quais et descend vers la plage pour s’y poser de longues heures. Assise sur son bloc de pierre, Solange balance inlassablement son corps d’avant en arrière, imitant le ressac de la mer.

Au début, devant son attitude étrange, quelques promeneurs interloqués ont voulu l’aider, mais son mutisme farouche, son agressivité même, les en ont dissuadés.

Solange ne parle pas, Solange ne salue pas, Solange trimballe sa solitude tête baissée, ses yeux suivant ses petits pas discrets qui poursuivent son ombre comme pour s’y confondre et ne pas être vue.

Les gens se sont habitués. Solange ne dérange pas, elle se fond dans leur quotidien, ils l’aperçoivent sans la regarder, un peu comme les cloches de l’église qu’on entend sonner mais que l’on n’écoute pas.

Cela fait plus de dix ans que Solange s’est installée ici, seule et mélancolique.

D’après Maître Armand, la petite maison que Solange occupe lui vient d’un donateur dont le notaire, secret professionnel oblige, ne veut pas révéler le nom. Il en va de même pour la petite rente qui lui permet de vivre.

Solange n’a jamais invité quelqu’un chez elle, et elle a toujours refusé la moindre invitation.

Pourtant Simon, un pêcheur du coin, a bien tenté quelquefois de s’adresser à elle. Mais sans succès. Simon est le seul au port à continuer à suivre Solange des yeux, discrètement, pour ne pas la déranger.

Et justement, avant-hier Simon a remarqué un changement d’attitude chez Solange. En descendant le petit escalier vers la plage Solange s’est presque heurtée à un promeneur aux cheveux gris. Etrangement, Solange s’est alors retournée vivement, et a levé la tête pour observer l’inconnu qui s’éloignait. C’est ensuite avec fébrilité que Solange a rejoint son bloc de pierre pour s’y assoir, et son corps ne balançait pas.

Hier Simon, pour la première fois depuis 10 ans, n’a pas vu Solange rejoindre la plage à marée basse. Plusieurs fois il a scruté la plage, mais le bloc de pierre restait inoccupé. Puis Simon a dû monter sur son bateau et larguer les amarres pour aller pêcher.

Ce jour-là, c’est à la marée montante que Solange s’est assise sur son bloc. De son vêtement elle a sorti un objet qui ressemblait à un crâne de singe ou à celui d’un petit enfant. Solange serrait l’étrange objet contre son sein et tout en balançant son corps d’avant en arrière elle psalmodiait un chant qui se perdait dans le bruit des vagues et du vent.

Et pendant que l’eau montait les larmes de Solange se mélangeaient aux embruns.

Aujourd’hui, au petit matin, un soleil timide caresse le sable et allonge l’ombre d’un petit monticule, celui du bonnet de Solange.

Simon, en récupérant le bonnet ne put s’empêcher de penser : « c’était écrit dans les lignes de sa main ».

Belle histoire que celle de Solange, triste histoire aussi...
Tu la racontes par petites touches délicates et c'est ça qui m'a beaucoup plu!
J'avais le coeur gros à la fin de ton récit.

C'est vrai que tu parviens à nous faire deviner l'histoire de Solange sans jamais rien préciser, nous laissant libres d'imaginer sa triste destinée.
Ton texte est raffiné, travaillé ( me trompe-je ?) et bien sûr il y gagne en qualité !

J'ai beaucoup aimé la façon dont tu t'es inspirée de la photo pour créer un personnage, des personnages, celui de Simon également, cette ambiance que tu as créé, l'histoire crédible et racontée avec pudeur. Un beau texte très bien écrit

Bravo , Virgul pour ce récit attendrissant

Lu ce texte en me demandant ce qui allait se passer... avec une fin triste. C'est ça la qualité de ton écriture.

L'histoire est à peine suggérée, discrète et pudique comme cette femme qui semble n'être plus que l'ombre d'elle-même après avoir vécu un drame terrible, ses larmes qui se mêlent aux vagues en sont témoin. Virgul, tu as su parfaitement évoquer ce drame.

Un très beau texte. On suit Solange pas à pas dans sa solitude et sa désespérance

Un texte magnifiquement écrit et très émouvant. J'en ai frissonné tout en le lisant...

Un très beau texte, dont chaque mot lu ruisselle sous nos yeux...

bravo!!