A. Enquête de vie ou en quête de vie…

Enquête de vie ou en quête de vie…


La vie en lui s'était endormie. Ivan ne saurait dire quand exactement. Mais c'était il y a bien longtemps. À moins qu'elle ne se soit jamais éveillée. Cela arrive parfois. Ivan ne savait pas ce qu'il convenait d'en penser. D'ailleurs avait-il une pensée élaborée. Pour cela il faut un minimum d'expérience, que manifestement il n'avait pas.
À quoi avait-il occupé toutes ces années ? Faut-il véritablement revenir sur l'histoire, ce qui a pu se passer, n'aurait pas dû advenir, ou que l'on croyait possible et qu'on abandonna avant même de commencer, toutes ces choses idiotes mais dont on croit qu'elles sont de la plus grande importance.
Il en est qui prétendent que la vie vous sourit. Ivan n'était pas de ceux là. Un raté de l'existence. Une vie qui n'aurait  pas dû voir le jour. D'autres disent que la vie est un jaillissement. Encore une expression  qui ne correspondait à rien le concernant.  Son existence n'en était pas véritablement une.  Cependant c'était la sienne.

C'est lors d'une exposition qu'il découvrit cette photo, avec ce titre en croate signifiant : « Fête des Mères ». Ivan eut un choc : Il n'était pas encore né. Enfin, pas vraiment. Il était encore comme ces fœtus qui s'ennuient dans le ventre de leur mère.

Lors de la séance suivante, chez le psychanalyste, il raconta tout cela en position fœtale sur le divan. Comme à son habitude, le thérapeute se taisait. Ivan croyait qu'il prenait des notes parce qu'il avait un crayon et un bloc. En réalité il dessinait ce qui lui passait par la tête et Dieu sait s'il en passe des choses dans la tête d'un psychanalyste.  Il entend des histoires  tellement terribles qu'au fur et à mesure des séances il se débarrasse de tout ce qu'on lui raconte en griffonnant n'importe quoi sur son bloc-notes. À la fin de la séance, reconduisant Ivan vers la porte, exceptionnellement il lui serra la main et prononça cette phrase :
Ne vous decouragez pas, c'est souvent la dernière clé du trousseau qui ouvre la porte!"

Évidemment Ivan ne dormit pas de la nuit. Quel était le message à décrypter. Quel trousseau de clés ? Quelle porte ? Il aurait voulu téléphoner, demander des détails, des explications au psychanalyste, mais voilà c'était interdit. D'ailleurs il avait essayé à plusieurs reprises, tombant à chaque fois sur un répondeur qui demandait de ne pas rappeler, sauf si c'était pour décaler un rendez-vous Le psychanalyste sait parfaitement générer des interdits grâce à son ascendant sur le patient qui le considère tout-puissant. Ça fonctionne ! Ça évite au thérapeute  de perdre son temps au téléphone sans être payé.

Est-ce que sur la photo de l'exposition, c'était vraiment sa mère ? Auquel cas il convenait de chercher le trousseau de clés de chez elle. Mais où ? Ensuite, le message était plus clair, elle ouvrirait la porte  maternelle et Ivan se jetterait dans ses bras, serait accueilli comme un nouveau-né. Ce jour-là serait  le premier jour  jour de sa  vie La vraie.

Ivan chercha longtemps les clés. Il se renseigna auprès de tous les fabricants existants. Il alla même à l'étranger. Il était convaincu qu'il reconnaîtrait le trousseau entre tous. C'était les clés de sa mère après tout. Son instinct parlerait. Ensuite il suffirait de les essayer sur toutes les portes. Ça prendrait du temps certes mais il y arriverait.

Le psychanalyste ne s'étonna pas de ne plus le voir revenir. De toutes façons ce n'était pas les demandes de patients qui manquaient. Alors lui ou un autre. Après tout chacun était libre.
Un jour, par hasard, il tomba sur un faire-part de mort dans le journal local. Alors le psychanalyste songea :
— Encore un qui est allé au bout de sa psychanalyse… (*)

(*) : Une formule comparable est attribuée à Jacques Lacan, psychanalyste, lorsqu'il apprit qu'un de ses patients s'était suicidé.