A : La prochaine porte

A : la prochaine porte

       Habillée d'une simple robe blanche et légère, la fillette apparut au pied de l'escalier. Elle le connaissait bien à présent pour l'avoir emprunté de nombreuses fois. Ses marches semblaient reflétér la lumière comme tout ce qui l'entourait. À chaque fois qu'elle en gravissait une, elle avait l'impression de marcher sur de la moquette douce et épaisse, moelleuse et immaculée, comme si elle posait les pieds sur un nuage. Elle en savourait la substance à chaque touché.
Elle se sentait paisible, heureuse et d'une incroyable légèreté.
Elle monta les nombreuses marches pour enfin parvenir à une grande esplanade toute aussi lumineuse. Le sol, parfaitement lisse et brillant, donnait la même sensation aux pieds de la fillette. Il était doux, moelleux et pourtant ferme à chaque pas qu'elle faisait.
Lui faisant face à quelques mètres, se tenait un vieil homme à la chevelure et à la barbe blanche, toutes deux généreusement fournies.
  Il était assis derrière un bureau de taille modeste ou rien, à l'exception d'un épais livre posé sur l'un des coins, ne reposait.
Prenant une courte inspiration, la fillette s'avança pour s'arrêter à quelques pas du bureau.
        - Bonjour Monsieur l'Alchimiste, je suis revenue.
        - Bonjour, je le vois bien, sans quoi tu ne serais pas là, devant moi.
       Sa voix était douce et virile à la fois. Il l'observa intensément, puis il reprit avec tendresse.
        - Alors, que penses-tu de ton séjour ?
       Un sourire rayonnant s'afficha sur le visage angélique de la fillette.
       - Intéressant. Moi qui pensais que la vie de chat était des plus tranquilles, je dois bien reconnaître que ce n'est pas du tout le cas.
       - Raconte-moi, lui demanda t-il une pointe de malice dans les yeux.
       - Pour commencer, je suis née chez une famille très gentille. Mes premières semaines d'existence parmi les humains m'ont été chaleureuses. J'avais l'attention des deux jeunes enfants à tel point qu'ils se chamaillaient souvent pour m'accaparer. Heureusement, ma maman était toujours là pour veiller à ce qu'ils ne me blessent pas. Elle savait se montrer intimidante et montrer les dents et les crocs lorsque cela s'imposait. Mais elle ne s'en est jamais servi contre eux. Après tout, c'était de jeunes enfants eux aussi. Ensuite, lorsque j'ai eu l'âge de me débrouiller seule, la famille m'a donnée à leur mamie. J'ai été très triste de cette séparation. Ma maman m'a beaucoup manqué, essentiellement lors de mes premiers mois. Je n'ai pas du tout aimé ce moment, où l'on m'a arrachée à elle. Je n'étais pas prête à une telle épreuve.
        Le vieil homme l'écoutait attentivement. Son expression restait de marbre malgré le sourire qui, de temps à autre, se dessinait sur son visage.
       - Fort heureusement, continua la fillette, Véronica, la mamie à qui ils m'ont donnée, était une dame extrêmement gentille, même si elle était très souvent très triste car ses enfants lui manquaient et ils ne venaient pas souvent la voir. Elle était aux tout petits soins avec moi. Elle me soignait lorsque j'étais malade et me donnait des crevettes fraîches pour le déjeuner du dimanche. C'était tellement bon! Elle me chouchoutait, me câlinait, m'a protégée et adorée à chaque instant. Et ce jusqu'à ce qu'elle tombe gravement malade et que je la suive dans mon chagrin.
       Le regard du vieil homme se fit soudain plus attentif.
      - Est-ce que tu t'es laissée mourir? Lui demanda t-il d'un visage sérieux.
      - Oh non. J'étais alors très âgée lorsqu'elle était mourante. J'étais moi même malade, mais beaucoup moins qu'elle. Nous nous sommes accompagnées mutuellement, jusqu'à la dernière nuit où la maladie nous a emportées toutes les deux.
      - Ton séjour m'a l'air bien triste, intervint le vieil homme en reprenant une expression moins sérieuse.
      - Triste ? Oui, lorsque nous nous sommes quittées Véronica et moi. Cela m'a beaucoup attristée. Mis à part ce moment, je sais que notre amour l'une envers l'autre était sincère. Et je sais aussi que je lui ai apporté beaucoup de bonheur. Et en tant que chat, j'étais tout le temps sur mes gardes. Vous pouvez me croire. J'étais à l’affût de tous les mauvais esprits qui tentaient d'envahir notre espace.
       Le visage du vieil homme s'illumina soudain d'un large sourire. Il tortilla une bouclette de sa barbe et sa voix résonna dans tout l'espace.
      - Oui, je sais tout cela, la rassura t-il alors. Tu as fait du très bon travail et tu t'es acquittée de ta première mission qui était de faire le bien autour de toi. Il en est de même pour la deuxième, qui était de ne pas obscurcir ton âme. Tu es restée fidèle à la lumière, malgré les épreuves que tu as traversées. Je les considère donc comme acquises. À présent, il ne me reste qu'à te poser la question ultime ?
La fillette, toute souriante, gonfla sa poitrine et une pointe de fierté l'envahit face au travail accompli.
      - Quelles leçons en as-tu apprises?
      La réponse ne se fit pas attendre.
      - La première, c'est qu'aucun enfant ne devrait être arraché à ses parents, répondit-elle pourtant d'une voix sans méchanceté. C'est vraiment atroce. Les humains ont encore beaucoup à apprendre à ce sujet. La seconde, c'est que si on donne un peu de lumière, on en reçoit également en retour.
      - Et qu'elle est cette lumière dont tu parles?
      - Cette lumière? C'est l'amour que me portait Véronica. Et celui que je lui portais. Il était sincère et n'a jamais failli.
      Le vieil homme cessa de caresser sa barbe et se pencha légèrement sur le bureau. Son regard se fit bienveillant. Son visage arborait des traits satisfaits.
      - Je suis fier de toi, lui annonça t-il. Te souviens-tu de tes existences passées?
      - Oh oui, très bien. La première fois, j'étais une pierre. Une améthyste. J'ai d'ailleurs fini en pendentif mais je donnais la paix à qui me portait. La deuxième fois, je suis apparue en tant que fleur, une orchidée, dont le parfum donnait de la joie à ceux qui me respiraient. Et tous ceux qui me regardaient avaient des étoiles dans les yeux. Chacune d'elles m'a fait gagner une clé. Et là, c'est la troisième.
      - C'est cela. Et à chaque fois, tu as gagné le droit d'avancer. Comme aujourd'hui...
La fillette trépignait presque sur place tant elle était heureuse. Devant sa joie manifeste, l'Alchimiste ne pu se retenir de rire.
À quelques mètres sur la droite de la fillette, une porte étincelante apparut, l'encadrement baignant dans une brume duveteuse.
Sur le bureau, un trousseau de clés, toutes d'un blanc éclatant, apparut à son tour.
Une pointe de découragement se dessina sur son visage, mais la fillette se reprit rapidement. Il est vrai qu'il y en avait une bonne vingtaine.
- Tu peux, répondit le vieil homme à la demande silencieuse qui brûlait les lèvres de la fillette. Ne te décourage pas, c'est souvent la dernière clé du trousseau qui ouvre la porte. Mais c'est à toi de faire ton choix. Et à toi seule. Mais souviens-toi de tes missions, quelle que soit l'existence qui te sera offerte.
Acquiesçant et de nouveau souriante, elle s'empara du trousseau comme d'un trésor et se dirigea vers la porte. Il y avait décidément beaucoup plus de clés que les fois précédentes, mais elle finit par en choisir une. Elle regarda une dernière fois l'Alchimiste, qui l'invita du regard à ouvrir la porte, puis inséra la clé dans la serrure. Celle-ci s'ouvrit, laissant apparaître sur le sol les contours d'une silhouette appartenant à une femme, lui inspirant amour et bonté.
La fillette ne put contenir sa joie. Elle allait enfin être un humain, une femme, mais elle savait également que cette nouvelle incarnation, cette nouvelle mission, était bien plus ardues que les autres.
- Merci, dit-elle en se tournant une dernière fois vers le vieil homme, qui lui sourit en retour.
Son regard pétillait de fierté et de bienveillance.
Elle franchit le seuil de la porte puis s'allongea sur la silhouette dessinée au sol, au niveau de son ventre, impatiente de naître à nouveau.
Et lentement, la porte se referma sur la joie et les espoirs de ce petit bout d'âme.

Joli conte  où les chats  sont glorifiés comme accompagnateurs des humains.
Ne croit-on pas depuis la nuit des temps que les chats on sept ou neuf vies  ?
Animaux magiques ou diaboliques ?  

Très belle histoire ou plutôt merveilleux conte...
Beaucoup de symboles et belles descriptions.
Merci Xavier!

Pour tout te dire j'ai déjà écrit deux textes un peu similaires, mais dans l'autre sens, à savoir que la réincarnation en chat était la dernière sur l'échelle qui menait au Nirvana. C'est amusant de voir de quelle manière nos textes peuvent parfois se croiser ou se ressembler.
Voilà un des deux, je ne sais plus trop où est passé l'autre.
http://moncarnetamalices.eklablog.com/attention-au-depart-a106106662

Un conte philosophique merveilleusement composé. Du grand art !

Un merveilleux conte initiatique ! J'ai beaucoup aimé !

Merci à vous tous pour vos critiques,

Amanda, je m'en vais de ce pas lire ton texte. merci pour ton lien.