A. Cher Marc

Je suis venue plusieurs fois à Lille pour le travail. Des journées sur les chapeaux de roue avec des réunions qui s’éternisent, le train qu’il ne faut pas louper, les collègues qu’il faut saluer. Ce n’est que cette fois-ci que j’ai pu prendre le temps de venir dans notre parc, bien que l’on dise qu’il ne faut jamais remettre ses pas dans ses pas.

Dès que j’ai passé le portillon des tas de souvenirs sont revenus à ma mémoire ! Je me revois adolescente attendant avec impatience que le dernier cours finisse pour enfin filer au parc te retrouver et m'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi. Que dis-je cinq minutes ! Nous restions parfois plus d’une heure n’ayant chacun aucune envie de rentrer trop vite chez soi. Nous discutions, refaisions le monde, échangions nos projets, nos désirs.

Figure-toi que notre banc est toujours là ! Malgré les années il n’a pas changé. J’ai promené mes doigts sur nos initiales entrelacées que tu as gravées sur la tranche d’une de ses planches. Quel fou rire avions nous pris à ce moment-là !  Toi accroupi devant moi comme si tu me demandais ma main. C’est alors que tu t’es relevé lentement. Tu es redevenu sérieux, tes yeux brillaient, tu me fixais intensément. Je n’ai pas bougé. Je t’ai regardé alors que tu te penchais vers moi. Nos lèvres se sont effleurées. Un baiser tout en douceur. On est resté longtemps côte à côte, silencieux, nous tenant la main, notre regard perdu dans les eaux limpides du lac.
La vie nous a séparé. Tu as déménagé à l’autre bout du pays. Nous avons correspondu pendant quelques années puis la guerre est arrivée. J’ai du fuir avec ma famille et nous cacher. Nos liens ont définitivement été coupés.

J’écris cette lettre assise sur notre banc. C’est l’automne notre saison préférée. Les arbres se parent de jaune et de rouge. Des feuilles tombent sans bruit en tournoyant sur la pelouse.  Je me suis mariée et je viens d’être pour la première fois grand-mère. J’ignore ce que tu es devenu. J’espère que ta vie est belle et longue comme la mienne. Cette lettre je ne peux te l’envoyer alors je vais l’enterrer sous notre banc.

Je t’aime et t’embrasse
Elisabeth

Emouvante lettre d'amour, de souvenir, de nostalgie.

Presque toute une vie qui défile sur ton banc, Sherkane ! On ne sait ni le pourquoi ni le comment de la séparation, tu parles d'une guerre, oui, mais avant cela ?
Très émouvant !

Une belle évocation en forme d'adresse, ces années révolus qui viennent de temps à autre nous traverser. De ces possibles qui ne sont pas advenus.
Il n'y a pas de regrets ni de nostalgie, puisque l'auteur a trouvé le bonheur autrement.
Alors le je t'aime de la fin a le parfum d'authenticité de l'amour véritable.

Comme les souvenirs peuvent évoquer quantités de sentiments différents!
Tu évoques très bien les ressentis qu'evoquent ces lettres gravées dans le bois, c'est ça qui m'a beaucoup plu.

Très beau texte qui raconte un amour inoublié inoubliable.J'ai beaucoup aimé.

Je ressent une impression positive à la lecture de ton texte.
La vie aurait pu..., mais a ensuite entraîné les protagonistes sur un autre chemin que celui qu'ils avaient espéré.
Puis le temps a suivi son cours, et a finalement laissé la place aux souvenirs apaisés

Il est beau ton texte. Cela pourrait être les images de fin d’un film.
Et puis la toute dernière partie est particulièrement belle et émouvante . Bravo

Même si la vie sépare les amoureux, les amours passées ne meurent jamais tout à fait, les sentiments que l'on a éprouvés restent toujours gravés dans un coin de notre coeur.
Un très beau texte, Sherkane, tout plein de pudeur.

Un bien beau texte à la fois mélancolique et rêveur et j'aime cette bouteille à la mer sous forme de lettre enterrée

La vie n'est pas jalouse des souvenirs. Ce banc te rappelle un premier amour qui a probablement servi de fondation pour en vivre un autre, tout aussi fort. A mon sens les sentiments aussi se cultivent, d'expérience en expérience, et les renforcent.

Je crois que nous avons tous des souvenirs bien précis de notre adolescence lors de telles rencontres. Tu l'exprimes très bien, dans ce beau texte.

J'aime beaucoup ce passage:

Sherkane a écrit:Malgré les années il n’a pas changé. J’ai promené mes doigts sur nos initiales entrelacées que tu as gravées sur la tranche d’une de ses planches. Quel fou rire avions nous pris à ce moment-là !