A. La petite peine de la petite philosophe

Elle ne changeait pas elle, quand elle aimait les gens, ça durait toute la vie.
Songeuse, c’est exactement ce qu’elle se disait, en regardant une grenouille sauter de pierre en pierre :

— Tiens, une grenouille, est-ce que c’est beau ? Non, c’est très moche. Le vert n’est pas franc, ses yeux sont globuleux, l’animal est visqueux. C’est moche une grenouille. Pourtant, tout le monde aime les voir surgir d’une touffe d’herbe.
Mes bottes, est-ce que c’est beau, des bottes ? Non, c’est très moche. Des bottes, ce sont des souliers rigides, le pied flotte dedans, ça coupe le mollet, et on dirait que ce sont des chaussures faites pour coller à la terre pleine d’eau. Ça fait des bruits pas propres, les bottes.
Est-ce que toi, le chat, lorsque je te vois, là, guetter la grenouille pour la faire souffrir, est-ce que tu es beau ? Non, tu es très moche. C’est cruel un chat, ça fait ce que ça veut quand ça veut, on ne sait même pas si ça aime.
Elle parlait avec véhémence, une branche de bois à la main, dont elle frappait doucement les cailloux, l’eau du ruisseau, comme pour appuyer sa réflexion, pour se soulager d’une petite douleur, d’une grosse peine.

Et puis elle continua d’égrener ses questions « Est-ce que c’est beau ? » et les réponses « Non c’est très moche ». Le ciel gris c’est très moche, l’herbe rase et rare sur la colline, c’est très moche.
Soupir.
Elle se mit à sourire : Oui tu es beau mon chat, c’est beau un chat, parce que c’est libre et doux, oui c’est beau une grenouille parce que c’est insolite et sautillant, oui c’est beau un ciel gris parce que je ne saurais pas peindre ses couleurs.
Et moi, moi… est-ce que je suis belle, moi ? Ou est-ce que je suis très moche ? Est-ce que même si on dit que je ne suis pas très belle, cela veut dire que je suis moche en dedans ? Est-ce qu’il vaut mieux être moche et aimer les gens ou être belle et trahir tout le temps ? Moi, mon amie, elle me l’a dit ce matin, que je ne suis pas belle. Elle me l’a dit. Et alors, moi, pourquoi est-ce que je l’aime encore ? Pourtant je l’aime. Quand même. Et maintenant, je sais que parfois, l’amour, ça fait vachement mal.
Soupir. Elle ne changerait pas elle, quand elle aimerait les gens, ça durerait toute la vie.

Superbe texte qui colle parfaitement à la photo. On a envie de la consoler cette petite fille

Pas facile de passer du négatif au positif ! Exercice parfaitement réussi !

Merci Sherkane et Amanda ! Tu as raison Amanda, pas aisé de retourner le négatif en positif.. mais quand on aime, tout est possible, pas vrai ? ;-)

Un très beau texte. Touchant et réaliste.
Qui donne à réfléchir. Qu'est-ce qui est beau ou moche ?
La philosophie sort de la bouche des enfants.

Et puis le texte amène la fin : la question fondamentale.
Pourquoi j'aime encore malgré ce qu'on me dit ?
Oui, pourquoi ?
Y a-t-il mystère humain plus mystérieux…

Regarder les choses avec les yeux du coeur.
Tu réussis à nous montrer le côté négatif puis positif de ce regard et ce n'est pas facile. Bravo à toi.

L'illustration m'a bien aidée, Alain. Merci de tes mots !
Merci aussi à toi Zephyrine, j'essaie de me donner des "défis" à l'intérieur d'une consigne :-)

Est-ce qu’il est beau ce texte ? Oui, il est très beau!
Est-ce qu’elle est belle cette petite fille qui philosophe sans le savoir? Si je m’en réfère à l’image, oui elle est belle, et si je m’en réfère au texte, elle est tout aussi belle a l’intérieur qu’à l’extérieur

Philosopher lui aidera à se consoler de la perte de son amie dont elle gardera toujours une place dans son cœur, bravo pour ce texte .

Sourire, Cassy !! :-) Merci :-)
Merci Automne.. je ne crois pas, justement, qu'elle ait perdu son amie. Elle dit qu'elle l'aimera quand même :-)

Une petite fille qui sait bien raisonner. Jolie façon de passer du négatif au positif ! Bravo Amélie

Merci à toi Françoise !

mon coup de cœur de la semaine je pense, bravo!

Ah voilà qui me fait un beau plaisir, Sprite ! Merci :-)

Il me semblait bien en commencant à lire ton texte que cette fillette qui trouvait tout moche avait un gros chagrin. Quelle terrible nouvelle pour elle d'apprendre de la bouche de son amie qu'elle ne serait pas belle. Tu évoques l'éternel mystère de l'amour inconditionnel.

Merci Myrte ! En même temps, c'est ce que la phrase "consigne" suggérait, ce qui va très bien à l'enfance :-)

On dirait que la petite fille est sortie de son image de la consigne pour venir témoigner sur Kalé !
C'est vraiment elle

HA HA HA ! Joli, Silhène ! Merci à toi :-)

Pauvre petiote ! Que c'est difficile de grandir.

AH ben moi je ne trouve pas qu'elle soit si malheureuse. Elle a du rebond à revendre ! Merci Martine :-)