A- Ça m’fait d’la peine

Les retrouvailles ont été brèves. Dans le café de la gare d’où je suis parti toutes ces années en arrière, j’attends le train de mon dernier départ.
Me voilà seul à nouveau. Le rail le ramène ‘chez eux’, l’autrefois de ‘chez nous’ où j’ai décidé de ne jamais remettre les pieds. Depuis la mort de mes vieux plus rien ne m’y rattache.

J’étais le va-nu-pied de la bande, un des plus pauvres du patelin. Je ne mettais des godasses que pour aller à la messe ou à l’école, mais pas question d’user mes semelles hors ces sorties obligatoires. De toute manière ma famille n’avait jamais bien été intégrée au village : des romanichels forcés à la sédentarisation. On nous faisait sentir notre manque de racines. Pas un nom de nos ancêtres sur les stèles du petit cimetière.

Mais dans notre grande bande, pendant longtemps ça n’avait pas eu d’importance. De castagnes en embrassades, on réglait entre nous nos problèmes de gosses et rien n’a pu nous diviser jusqu’au service militaire… et aux « évènements »….cette guerre qu’on évite de nommer.

Ah cette guerre !

Jacques n’est pas venu à notre rencontre, bien sûr. Ça me sert le cœur de savoir ce qu’il est devenu. Quand on pense que son grand-père avait été prisonnier en 14, et son père résistant en 39, trop vieux pour s’engager mais activement anti-boche.

Jean me sachant de passage en France m’a invité à une de leur réunion annuelle des 4Acg (Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre). Il en fait fervemment parti. Il connait mes positions antimilitaristes depuis les horreurs que nous avons vues…. et perpétrées.

Sous la commande un soldat obéit.
Démobilisé un soldat réfléchit.

Enfin devrait !

Comment Jacques a-t-il pu basculer dans l’ignominie d’un racisme aussi flagrant. Difficile à concevoir. Mais c’est ainsi.

Nous l’avons évoqué avec Jean, qui continue de le fréquenter. Il a même ressorti une photo de nous trois ensembles. Nous étions bien plus nombreux dans la bande mais nous trois, on était du même hameau et on faisait route ensemble pour aller en classe. Dans une petite communauté chacun se côtoie forcément. Et puis eux ont leurs racines bien plantées, leurs noms gravés de générations en générations dans le vieux cimetière.

Jacques est devenu maire aux dernières élections. Quand j’ai regardé sur internet les résultats du village et des villages environnants, je n’ai pas été trop surpris qu’ils soient en majorité Front National. Mais j’en suis triste. Très triste. Trop triste.

Jean doit faire figure d’original dans la région, lui qui reçoit des réfugiés en stage d’agriculture bien au-delà de la retraite. Un de ses fils a repris la ferme et le soutient dans ses actions. Comme tout le reste de la famille. Il m’y invite chaleureusement.

-Viens nous voir quand tu passes en France. Logé, nourri gratis aussi longtemps que tu voudras. Et peut-être qu’on pourra parler un peu. Parler enfin de ces années-là.

Parler ? oui, il serait peut-être temps! Jean a appris a oser, lui. Il va dans des écoles pour raconter. Il a même monté un spectacle... Parler...

Mais j’étais plus proche de Jacques dans notre jeunesse. Il me serait impossible de repasser par là-bas et de ne pas le revoir… et sympathiser avec un ancien bourreau qui n’a pas eu de changement de conscience ?

J’ai essayé de comprendre. J’essaie d’accepter. Certains lavages de cerveaux ont eu les résultats voulus. S’est-il senti valorisé, cet ancien cancre au bon cœur, quand on l’a fait monter en grade au QG de la Torture à Alger ?  

C’est Jean que je viens de revoir.
C’est à Jacques que je pense le plus.

Nos nuits adolescentes à explorer notre sexualité me remontent en mémoire. Je n’en ai jamais parlé à quiconque. Lui non plus j’imagine.

Allez. Passons à autre chose. Ma dernière compagne m’attends à Kaitaia. Demain je rejoins l’Orient pour reprendre ma place avec l’équipage du trois-mâts qui sillonne les mers depuis une décennie. Il sert d’apprentissage aux métiers de la mer à des jeunes en mal de devenir. Ça sera sans doute mon dernier périple. Mais qui sait ? J’ai encore bon pied, bon œil. Une femme m’aime et m’attend. Des enfants et petits-enfants aussi. Le peuple Maori a encore tant à nous apprendre et je vais continuer de m’en faire le passeur. Et puis, il y a ma fidèle guitare et pour l’heure je vais chanter la chanson des retrouvailles. Vous savez, celle qui commence ainsi.

Le temps est loin de nos vingt ans.
Des coups de poing, des coups de sang.
Mais qu’à cela n’tienne
C’est pas fini
On peut chanter quand le verre est bien rempli.

Buvons encore une dernière fois
A l’amitié, l’amour, la joie
On a fêté nos retrouvailles
Ça m’fait d’la peine
Mais il faut que je m’en aille.

Ce sont des retrouvailles à deux finalement. Pourtant le troisième, Jacques, reste très présent dans les pensées du narrateur. Ils étaient plus proches dans leur jeunesse mais, visiblement, leurs idées ont diverge. Une autre façon de raconter des retrouvailles...

Trois amis d’enfance, une guerre et des vies qui prennent des chemins différents.
Je trouve qu’il y a beaucoup d’informations dans ton texte et ça perd un peu le lecteur. Je pense qu’il aurait fallu ( mais ce n’est que mon avis) te concentrer sur le thème de la guerre d’Algerie et la façon dont les trois amis l’ont vécue pour expliquer comment l’un d’eux a basculé.
Une première partie pour présenter les 3 personnages
Une seconde partie pour évoquer la guerre et la façon dont l’un d’eux a appréhendé cette guerre et ce qu’il en résulte.

J’ai en effet dû lire ton texte plusieurs fois afin de bien m’imprégner de chaque personnage.
Mais encore une fois, c’est mon ressenti à moi  ne le prend donc pas comme argent comptant

J’ai lu ton texte deux ou trois fois avant de tout comprendre.
Mais ce sont des retrouvailles racontées en plusieurs parties et tu les racontes bien!

D'accord avec les comm's précédents, je n'ai rien à ajouter sinon la richesse de ta plume !

Pour ma part j'ai bien aimé le déroulement de ton texte. C'est dense et un peu décousu mais on est vraiment dans la tête de quelqu'un qui pense à ce qu'il vient de vivre et les reminiscences que cela lui donne. On rentre bien dans son esprit qui est un peu en ébullition et où ses pensées s'agitent