A. Fabriquer du faux vrai.

Fabriquer du faux vrai.

C'était tellement loin à présent. Loin géographiquement. Loin dans le temps. Un temps révolu que les années n'ont pas résolu.

Le temps du ruisseau, où elle avait rêvé d'un monde meilleur. Quelle banalité. Quand elle y pense. C'était le jour où on lui avait offert des petites bottes blanches. Pour une fois elle aima recevoir un objet utilitaire. On lui avait dit que c'était un cadeau. Elle savait très bien qu'un cadeau ce n'était pas ça. Un cadeau c'était un truc gratuit qui ne servait pas à dissimuler de la misère.

Elle se sentait bien près du ruisseau. Enfin c'est elle qui avait appelé ruisseau ce caniveau. De toute façon elle ne savait pas ce que cela voulait dire, caniveau  Parfois une voiture passait et éclaboussait son visage d'eau fangeuse. Elle imaginait que c'était les embruns de l'océan. Ça devait être comme ça au bord de la mer. Elle l'avait vue dans un illustré de cette époque, ramassé dans la rue.

Il y avait aussi ce vieux chat misérable, au poil terne et qui sentait la crotte. Un chat couleur locale en quelque sorte. Elle avait alors fait appel à sa pensée magique et il était devenu mignon et ronronnant. Un chat comme plus tard elle en verra à la télévision, dans des publicités vantant la nourriture de luxe pour chats qui coûtait la peau des fesses. Elle pensait qu'ils avaient de la chance les chats de pouvoir manger à leur faim. Elle aurait dû naître chat.

Malgré tout cela, malgré les années de galère, malgré les saloperies qu'elle a dû subir, elle ne changeait pas elle, quand elle aimait les gens, ça durait toute la vie. Elle ne se sentait pas admirable mais pleine de bon sens. Pourquoi détester ceux qui vous font du tort, puisqu'il suffit de les imaginer autrement.

C'est ce qu'elle avait toujours fait et qu'elle ferait encore et sans fin. Peut-être parce qu'elle avait gardé au fond d'elle-même ce souvenir d'enfance assise sur le rebord du caniveau avec ses guenilles et ses bottes blanches. Mieux valait toujours se réfugier dans l'invention d'une autre vie. Seule manière de s'enfuir  sur les chemins imaginaires. Rejoindre le seul endroit dans sa tête qui ne lui semblait pas totalement invivable.

Quand la réalité vraie est  dégueulasse, mieux vaut la transformer « en faux ».