A. Madame Cesari

Madame Cesari se pointait à sa porte d’entrée, ouverte en permanence, dès que quelqu’un pénétrait dans l’immeuble, il était inutile de faire les frais d’une caméra de surveillance. Sa loge se situait au fond du porche, face à l’entrée, elle ne pouvait rater aucun intervenant. Elle arrivait en trainant la pantoufle au son de l’ouverture automatique, les lunettes au bout de son nez, et vous regardait d’un air soupçonneux qui était à la limite de vous faire sentir aussitôt coupable. Tout intrus était écarté illico-presto. Elle répondait par un grognement aux bonjours polis puis elle retournait à ses occupations. Son air revêche et son regard inquisiteur la rendait antipathique à souhait et les habitants de l’immeuble ne l’aimaient pas trop en général.
Elle avait pris pour habitude de regrouper toutes ses taches journalières le matin, ce qui lui laissait pas mal de temps libre l’après-midi.

Justement, un après-midi, elle sonna à ma porte pour me porter un colis qui n’entrait pas dans la boite aux lettres. Je fus très étonnée qu’elle prit la peine de le faire elle-même à la place du livreur. Elle m’expliqua alors que lorsqu’il était arrivé, elle venait de laver les escaliers et qu’elle ne voulait pas qu’il marche dans son « mouillé ». Elle avait donc attendu que ça sèche pour monter. Je la remerciai chaleureusement et, comme je venais de me préparer du thé, je l’invitai à en boire une tasse. A mon grand étonnement, elle accepta avec un sourire. C’était la première fois que je la voyais sourire.

J’avais fait installer une véranda sur mon balcon qui était vite devenu un  jardin d’hiver, c’est ainsi que je l’appelais, en y ajoutant des plantes à foison et, au milieu un salon en rotin avec des cousins fleuris. Nous nous assîmes sur les fauteuils et madame Cesari dit qu’elle aimait beaucoup cet endroit. J’en fus très touchée. Elle vit le livre que je lisais, posé sur la table basse « Buveurs de vent » de Franck Bouysse.

- Oh, dit-elle, j’ai beaucoup aimé ce livre !

J’étais si étonnée que je laissais échapper :

- Mais vous lisez madame Cesari ?

Et je m’en voulus aussitôt d’avoir dit ça.

- Bien sur que je lis ! Je ne fais que ça en dehors de mon travail ! Je dis toujours « C’est toujours mieux d’avoir le nez dans un livre que dans les affaires des autres ». D’ailleurs j’ai lu un autre livre de cet auteur «  Né d’aucune femme », c’est très bien écrit, j’ai aimé aussi.

Pendant le reste du temps, nous avons parlé de livres en buvant notre thé et j’avoue avoir passé un moment très agréable avec cette dame que je ne voyais plus avec le même oeil. Sous des airs rustiques, cette femme était d’une compagnie délicieuse et avait des connaissances littéraires étonnantes. Je renouvellerai mon invitation une autre fois avec plaisir.