A. Pour ne pas oublier
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A. Pour ne pas oublier
La sculpture que vous voyez au-dessus du buffet est l’œuvre de mon grand-père. Il était menuisier mais à ses heures perdues il aimait créer des objets d’art. Petit je passais beaucoup de temps dans son atelier pendant les vacances. L’odeur du bois travaillé, la sciure dans laquelle je plongeais les mains, le grincement de la scie, le bruit régulier du marteau, tout un monde qui m’envoutait. Mais ce que j’aimais le plus c’était de le voir sculpter.
Cet été là il entreprit un nouveau travail :
« C’est une bille de buis. Elle vient d’en bas de la prairie. Des abords de l’oratoire. »
Enfants nous n’allions quasiment jamais dans cette petite chapelle. Auparavant ma grand-mère y descendait de temps en temps donner un coup de balai et y déposer quelques fleurs. Mais elle fut très vite abandonnée et les buis qui l’entouraient grandirent et l’enserrèrent dans leurs branches. La bille que me montrait mon grand-père avait une dizaine de centimètres de large ce qui pour du buis était énorme. Il me fit soupeser le bois.
« C’est un bois dense et très dur. Pas facile à travailler mais avec de la patience on peut créer de belles choses. Cela fait des années que je l’ai attendant de décider quoi en faire »
Ciseau à bois, gouge, burin, des heures de travail et peu à peu émergeait de la bille deux mains jointes en forme de coupe d’un réalisme saisissant. Un jour que je l’observais de la fenêtre de l’atelier, il me tendit la sculpture et du papier de verre et me demanda de délicatement poncer la sculpture. Inutile de vous dire que j’étais très fier de cette demande et en même temps fébrile craignant de faire une bêtise.
Pendant que je ponçais mon grand-père entreprit de sculpter un arbre toujours dans le buis.
« Son grain est très fin. On peut ainsi y découper de minuscules détails. Le bois ne se fendra pas. »
Effectivement je voyais sous ses mains la délicate ramure de l’arbre apparaitre.
Mon grand-père reprit les mains jointes et se mit à graver sur les doigts des prénoms : Paul, Jean, Edouard, André… Il était concentré, le visage fermé. Je sentais que pour lui c’était quelque chose d’important mais je n’osais pas le questionner. De temps en temps il s’arrêtait, me regardait et parfois son index effleurant un nom il me parlait ou plus exactement il se parlait à lui-même tant sa voix était basse.
« Jean, à peine 20 ans, deux ans de tranchée et un éclat d’obus qui l’a défiguré »
« André, un sacré loustic. Toujours prêt à nous divertir par des tours de magie. »
Bien plus tard je compris que s’il faut souvent reprendre haleine plusieurs fois avant de pouvoir entendre toute la vérité, il en faut tout autant pour dire la vérité. Mon grand-père avait connu l’enfer des tranchées de la première guerre mondiale. Jamais il n’en parlait. Ce furent les seules fois où je l’entendis l’évoquer.
Cette sculpture il l’a gardé toutes ces années dans son atelier. Quand il est mort, j’ai demandé à la prendre et depuis je la garde précieusement. Pour ne pas oublier.
Cet été là il entreprit un nouveau travail :
« C’est une bille de buis. Elle vient d’en bas de la prairie. Des abords de l’oratoire. »
Enfants nous n’allions quasiment jamais dans cette petite chapelle. Auparavant ma grand-mère y descendait de temps en temps donner un coup de balai et y déposer quelques fleurs. Mais elle fut très vite abandonnée et les buis qui l’entouraient grandirent et l’enserrèrent dans leurs branches. La bille que me montrait mon grand-père avait une dizaine de centimètres de large ce qui pour du buis était énorme. Il me fit soupeser le bois.
« C’est un bois dense et très dur. Pas facile à travailler mais avec de la patience on peut créer de belles choses. Cela fait des années que je l’ai attendant de décider quoi en faire »
Ciseau à bois, gouge, burin, des heures de travail et peu à peu émergeait de la bille deux mains jointes en forme de coupe d’un réalisme saisissant. Un jour que je l’observais de la fenêtre de l’atelier, il me tendit la sculpture et du papier de verre et me demanda de délicatement poncer la sculpture. Inutile de vous dire que j’étais très fier de cette demande et en même temps fébrile craignant de faire une bêtise.
Pendant que je ponçais mon grand-père entreprit de sculpter un arbre toujours dans le buis.
« Son grain est très fin. On peut ainsi y découper de minuscules détails. Le bois ne se fendra pas. »
Effectivement je voyais sous ses mains la délicate ramure de l’arbre apparaitre.
Mon grand-père reprit les mains jointes et se mit à graver sur les doigts des prénoms : Paul, Jean, Edouard, André… Il était concentré, le visage fermé. Je sentais que pour lui c’était quelque chose d’important mais je n’osais pas le questionner. De temps en temps il s’arrêtait, me regardait et parfois son index effleurant un nom il me parlait ou plus exactement il se parlait à lui-même tant sa voix était basse.
« Jean, à peine 20 ans, deux ans de tranchée et un éclat d’obus qui l’a défiguré »
« André, un sacré loustic. Toujours prêt à nous divertir par des tours de magie. »
Bien plus tard je compris que s’il faut souvent reprendre haleine plusieurs fois avant de pouvoir entendre toute la vérité, il en faut tout autant pour dire la vérité. Mon grand-père avait connu l’enfer des tranchées de la première guerre mondiale. Jamais il n’en parlait. Ce furent les seules fois où je l’entendis l’évoquer.
Cette sculpture il l’a gardé toutes ces années dans son atelier. Quand il est mort, j’ai demandé à la prendre et depuis je la garde précieusement. Pour ne pas oublier.
Sherkane
Re: A. Pour ne pas oublier
Ton texte est émouvant.
Et aussi l'écriture en est belle.
Être délivré par la vérité, c'est ce que je retiens.
Une pensée pour ce grand-père qui savait travailler le coin de ses mains et en sortir de belles choses signifiantes.
Et aussi l'écriture en est belle.
Être délivré par la vérité, c'est ce que je retiens.
Une pensée pour ce grand-père qui savait travailler le coin de ses mains et en sortir de belles choses signifiantes.
_________________
"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: A. Pour ne pas oublier
C'est un très beau texte plein d'émotion. Le genre d'écriture que j'aime aussi bien lire que ressentir
_________________
Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
Re: A. Pour ne pas oublier
Un très beau texte.
J'aime beaucoup cette idée de façonner un objet pour y laisser les souvenirs.
J'aime beaucoup cette idée de façonner un objet pour y laisser les souvenirs.
madeleinedeproust- Humeur : littéraire...
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