A. Il est où le bonheur?

- On n'est pas bien, là?
Reine a posé la question mais personne n'a répondu. Nous n'en revenions pas encore, nous étions sans voix : nous les poules, perchées sur un arbre, du jamais vu dans le village!

Mais commençons par le début de l'histoire. Il faut dire que nous habitons un poulailler très agréable : nourries en abondance grâce à des graines de qualité et des fanes de légumes fraîches et appétissantes, un trois étoiles dirait la S.P.A.

Pourtant, je ne sais pas pourquoi, cela faisait déjà quelque temps que nous ressentions comme une lassitude, comme un ras-le-bol, le train-train quotidien nous ennuyait, nous pesait.
Cette situation ne pouvait plus durer, nous avions le moral dans les ergots (oui, certaines races de poules ont des ergots!).
Nous nous sommes alors réunies, un vent de rebellion soufflait sur notre enclos.
Reine, notre supérieure hiérarchique (oui, les poules ont le sens de la hiérarchie), nous a assuré qu'elle nous comprenait (oui les poules éprouvent de l'empathie les unes pour les autres!) et qu'il nous fallait casser nos petites habitudes, restait à nous donner les moyens de chasser nos idées noires.
Casse-cou l'acrobate de la bande a suggéré une solution ( oui, grâce à leurs 24 vocalises différentes, les poules peuvent s'entretenir entre elles). Plutôt, a t-elle dit , que de ne jamais aller plus haut que le muret qui ceint notre pré et d'entendre les enfants qui passent chanter "une poule sur un mur qui picore du pain dûr..." , il nous faut viser plus haut, le prunier par exemple...

Coquette a prétendu, outrée que jamais elle n'ébourifferait ses plumes dans un exercice d'escalade!
Biscotte a confié sa crainte de quitter le sol et ainsi ne plus rien trouver à becqueter  en cadence.
Frileuse  a insinué que plus haut on se trouve, plus il fait froid.
Juliette, émue a déploré qu'en quittant le poulailler elle ne pourrait plus fricoter avec Roméo le coq ( oui, certaines poules ont la préférence du mâle de la basse-cour).

Casse-cou s'est alors éloignée dédaigneuse en caquetant : "Qui m'aime me suive!"
Bien entendu, je ne vous détaillerai pas les efforts déployés ni comment, grâce au soutien et aux encouragements des unes et des autres (oui, les poules apprennent bien des astuces de leurs consoeurs), nous sommes arrivées tant bien que mal à nous percher sur les branches du prunier surplombant l'enclos.

Blotties les unes contre les autres, fières de nous, heureuses d'avoir franchi le pas, nous voyions enfin de haut, notre domaine habituel. Quel changement, quelle jouissance!
Roméo le coq, mécontent nous fixait furieux: nous avions désobéi! Reine lui a promis que nous ne tardrions pas à redescendre ( non, le féminisme n'existe pas dans un poulailler).
Juliette lui a redit des mots d'amour pendant que Coquette lissait ses plumes rousses.
Biscotte a demandé si ce n'était pas bientôt l'heure de casser la croûte et Frileuse a assuré qu'il ne faisait pas plus froid en haut qu'en bas.
Casse-cou nous a alors expliqué la façon de redescendre prudemment et nous avons suivi ses conseils.
Arrivées au sol, Roméo nous a volé dans les plumes en soupirant (non, je ne crois pas que les coqs soupirent, quoique...).

Un peu plus tard, Reine a pris la parole et grâce à ses 24 vocalises, elle a tiré les conclusions de notre escapade : " Pas besoin d'aller bien loin pour se changer les idées, il suffit de se contenter de bons petits moments comme ceux que nous venons de vivre.
Nous renouvellerons cette petite aventure, a t-elle assuré. Après le prunier ce sera le pommier que nous escaladrons!"
S'adressant à moi elle a ajouté :" Plume en l'air, tu vocaliseras nos aventures à qui voudra les connaître" ( non, c'est bien connu, les poules ne savent pas écrire!)

Elle a terminé par une question dont nous avions déjà la réponse : " Alors, que pensez-vous de ces moments hors du commun? Alors j'ai répondu : ”Voir ce que nous avons déjà, mais d’une autre façon et si c'était ça le bonheur?..."

Elles ont un air attendrissant ces poules qui osent l'aventure jusque dans les branches du prunier. Et les petites parenthèses croquantes dont tu ornes ton texte! Chouette histoire. Je les trouve bien courageuses et je vous le dis, elles iront loin à force d'oser!

Ce texte est d'une finesse rare tant dans les noms choisis pour les poulettes, que la description du caractère propre de chacune, une micro-société en somme proche de la réalité.
Plume en l'air raconte bien cet essai d'émancipation, quoique je les trouve quand même un peu trop soumises au coq macho.
Sens de la hiérarchie, empathie, vocalises, soutien, encouragement, jouissance, tout est très bien évoqué !

La sororité du poulailler en somme! J'aime beaucoup cette histoire et le sens qui s'en dégage, elles sont chouettes ces poulettes! J'aime les noms choisis et les apartés, bravo

Incontestablement  Zéphyrine  a des connaissances  très détaillées de la psychologie des gallinacées .
Pourrait-elle  dispenser un cours  au poulailler de Arnaud, jeune éleveur voisin * (des  poulets bio !)

Voici leur dispersion au cours de l'été dernier


* Il me confiait qu'ils étaient 12 000 en trois poulaillers comme celui-ci. Uniquement  des coqs .
Qui peut me dire pourquoi seulement des coqs ?
Il y a  une raison qui m'a abasourdi ...   

Bravo , Zephyrine tu décris très bien ces poules qui sont satisfaites de leur mode de vie mais veulent casser leur train train quotidien pour vivre plus intensément , un peu comme les humains qui osent vivre leurs rêves .

Joli texte avec ces timides poulettes qui réussissent à dépasser leur criante à la recherche du bonheur et prêtes à recommencer plus loin.

non, c'est bien connu, les poules ne savent pas écrire!