a. Le miroir de la Tour

J'ai longtemps vécu en errance, ne sachant guère où diriger mes pas. Je rêvais de prendre de la hauteur, et pourquoi pas de devenir une sommité. On m'avait dit que pour cela il fallait commencer en bas de l'échelle, grimper peu à peu et savoir profiter des opportunités quand elles passent.

Quelle était donc la méthode exacte qui convenait ? Comment saisir une opportunité ? Est-ce avec les mains, les pieds, le corps entier, ou d'une autre manière dont j'ignore tout ? On m'avait dit également qu'il convenait de se faire confiance, que si on n'était pas trop bête, l'inspiration nous viendrait dans l'instant et nous soufflerait la bonne manière de s'y prendre.

Des lectures m'informèrent que certains savaient comment passer de l'autre côté du miroir. À ce sujet il convenait de rencontrer une certaine Alice dans un certain pays, malheureusement insuffisamment précisé et localisé.

Cet aveu, je dois le faire : il m'arrive parfois de « monter dans les tours », faut pas trop me chercher, ce qui arrive cependant et dans ce cas on fait connaissance de ma fureur quand je grimpe dans les tours. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir au sommet de la tour de mon énervement un miroir qui tapissait le plafond. Je compris qu'il comportait invitation à l'infini. Vous m'êtes d'une grande perturbation, criais-je à celui que je voyais dans le reflet qui manifestement n'était pas moi. J'ai alors fait un bond avec retournement arrière et je me suis retrouvé de l'autre côté. De ce côté-là le miroir avait bon teint. De plus mes narines furent envahies par des senteurs suaves, subtiles, qui montèrent jusqu'à mon cerveau qui s'en trouva ébloui d'une merveilleuse lumière. Il n'y avait personne de ce côté-là du miroir. Cependant c'est à cet instant que j'entendis la voix :

— Je suis là, viens ! Approche toi, n'aie pas peur !
— Qui êtes-vous ? Ai-je aussitôt rétorqué.
— Simplement celle que tu espères. À toi de me saisir. Mais le feras-tu ?
— Serais-tu la Déesse Opportunité, celle dont on parle mais qui ne se montre jamais ? Celle que personne n'a jamais réussi à saisir valablement ?
— Ici tout est possible, tout est entre tes mains, c'est L'autre Côté, que tu ignorais jusqu'à présent.   Maintenant que tu y es, que désires-tu ?
C'est alors que je suis resté muet.

Aujourd'hui encore, il faut bien le dire, je regrette amèrement de ne pas avoir réussi à saisir la chance qu'elle me tendait. Tout aurait pu se jouer en un seul instant qui ne dépendait que de moi. Hélas je suis resté figé. S'ensuivit un grand bruit, un tremblement et puis cette impression de cul par-dessus tête. J'ai perdu pied, tout s'est brouillé et je me suis vu dégringolant cet escalier en colimaçon  en me cognant partout. Le résultat fut désastreux, j'arrivais en bas en mille morceaux.

Docteur, je sais que vous ne croyez pas à mon récit. Ce fut pareil avec le SAMU et la police. C'est tout juste si on ne m'a pas accusé d'avoir tenté d'agresser quelqu'un, j'aurais loupé mon coup et déboulé dans les escaliers en me cassant un bras et une jambe.
À présent ils parlent de m'envoyer en psychiatrie. Mais vous Docteur je suis sûr que vous avez réussi à saisir toutes les opportunités  puisque vous avez grimpé dans votre carrière jusqu'à devenir Président de l'Académie de  Médecine.
Alors, je vous en supplie, dites-moi comment je dois  procéder à présent.

Il n’est pas donné à tout le monde de passer de l’autre côté du miroir surtout quand on a tendance à monter dans les tours et à se figer devant les opportunités. On risque de dégringoler l’escalier, c’est ce que nous dit ton histoire Alain, et de se retrouver en bas en mille morceaux. Ton texte est aussi perturbant que la photo de la consigne.