A - La vie de château

Dès qu’on lui avait mis le nez dehors, depuis son berceau, côté soleil couchant, il l’avait vu, là, planté au beau milieu de la ligne d’horizon. Qui donc ? Le château de Turenne ! Très rapidement,  pour une tâche essentielle de la ferme,  on l’avait embarqué dans son landau.  Le troupeau de vaches ne se laissait pas distraire de leur occupation existentielle.   Elles ne levaient point le museau  pour admirer les échauguettes du château de la Rue.

Sans doute pour éviter que les bovins fussent animés  de l’envie d’ herbe plus verte,  on les  changeait de pacage … Apparemment, les vaches  se fichaient éperdument  des tours du château du Peuch qu’on distinguait se détachant majestueusement sur la ligne d’horizon.

Quant au jeune Prosper, si ses vaches lui en avaient laissé le loisir, sur  ses courtes gambettes, il aurait bien approché le château du Peuch. Qui sait ?  Par quelque carreau cassé, se saisissant de l’espagnolette, il aurait  pénétré dans le  castel et imaginé de l’intérieur ce que pouvait être la vie de château. La crainte du courroux paternel au cas où ces garces de vaches  mettant à profit  la relâche de surveillance pour se goinfrer  du maïs  de Ferdinand dans la terre d’à côté fut plus forte que la curiosité. Chacun son métier, les vaches seront bien gardées ! Ce fut la théorie qui l’emporta dans l’esprit  du jeune vacher.   Il ne tenta  point l’incursion au château du Peuch. Dommage ! Car il eut peut-être rencontré  GM, ce philosophe propriétaire du  Peuch . Il aurait peut-être appris ce que l’érudit entendait par «  Plus nous nous identifions à nos possessions, plus nous sommes en proie à une sorte d’esclavage incompréhensible et intolérable ».

Prosper s’identifiait-il  aux  multiples châtelains ?  Dans son environnement,  il en allait comme avec les Trois Mousquetaires.  En fait, les trois châteaux étaient quatre … Il n’en fallait pas plus pour s’imaginer tantôt  juché sur son destrier, allant d’un à l’autre, partageant de pantagruéliques repas  ou plus prosaïquement dans une logique de lignée,  loué  tour à tour par les  quatre châtelains en vue d’effectuer les basses besognes  pour le bien-être des seigneurs et maîtres de la paroisse.    

Et  parmi ces demeures seigneuriales, il y avait celui qu’on nommait simplement  Le Château.  Surplombant le bourg et son église, il  n’avait rien de spectaculaire. Notamment en ce début du 20ème siècle, si ce n’est que les habitants de ses  deux ailes  respectives s’entendaient comme chien et chat. Mais ceci, d’après la perception des relations de voisinage qu’en avait Prosper,  c’était dans le bon ordre des choses. Les fâcheries  étaient de bon ton dans chaque village.

Non, son intérêt était dans son Histoire dont Prosper prit connaissance sur les bancs de l’école primaire.  

En 1265 le Château appartient à la famille Robert, devenue "Robert de Lignerac" avec du beau monde dans son sillage.

Il y  eut  ce cardinal en 1342, évêque de Lisieux, d'Arras et Archevêque de Sens en 1378; Bertrand Robert de Lignerac, évêque de Montauban en 1380; Charles Robert, seigneur de Lignerac qui fut chargé par Henri II de la convocation du ban et de la cotisation de la noblesse du Limousin; Françoise Robert de Lignerac qui épousa François de Plas de Curemonte et qui fut la grand-mère de la duchesse de Fontanges, éphémère et dernière favorite de Louis XIV; François Robert de Lignerac, lieutenant du roi dans la haute Auvergne en 1587 , c'est lui qui enleva la reine de Navarre au château d'Agen pour la conduire à Carlat. Le 14 mars 1590, c'est encore lui qui apporta à Henri IV la soumission du duc de Mayenne. Le château fut alors partiellement détruit en représailles de ses prises de positions.

Le soir, remontant vers son village où l’attendaient les vaches  et leur pacage, Prosper rêvait. Il se voit en lieutenant du Roi,  lors d’une  étape  au Château entre Agen et Carlat dans le Cantal, prévenant la Reine de Navarre :
En mon château, vu sa situation haut perchée, Votre Majesté, il convient de porter attention aux courants d’air.



NB . Il en est qui prétendent une vilenie  à laquelle ne peut croire notre jeune Prosper «  La forteresse est le théâtre de la rivalité entre Aubiac et Gilbert Robert de Lignerac, gouverneur de la place, qui s'en disputent le commandement. Ce dernier va dépouiller Marguerite de ses bijoux pour se payer de ses dettes plongeant la reine dans une situation encore plus inconfortable »  
( https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/actualites/la-fuite-de-marguerite-a-carlat-va-declencher-la-8e-guerre-de-religion )