A- La petite maisonnette

Dans les années 40, elle chantait sur le chemin de l’école. De bon matin, frères et sœurs partaient en sabots sur les routes de campagne jusqu’au village. Cette chanson en patois les accompagnait tout du long. Le genre de chanson que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Une de ces chansons qu’on apprend de génération en génération,  changeant quelques mots d’un village à l’autre, détournant parfois  la mélodie puisque la mémoire auditive  laisse des traces comme autant de fils d’Ariane plus ou moins bien dessinés que l’on s’applique à suivre pour fortifier nos racines.

Maman chantait en patois et je crois qu’elle aimait ça . Elle aimait l’école aussi mais il fallait bien travailler pour aider la famille. À treize ans, elle est partie servante chez des bourgeois et on lui a interdit de chanter, et on lui a interdit de parler patois. Je suppose qu’elle a continué en cachette à fredonner les paroles de cette chanson qui lui ressemblait tant.
Et un jour devenue adulte, devenue maman, elle a à nouveau chanté, et puis chanté encore, toujours la même chanson qu’elle avait tant bien que mal, je suppose, traduit du patois.

Cette chanson dont je ne connais pas le titre exact  résonne encore en moi bien des années après. Je l’ai chanté à mon tour à mes enfants et aujourd’hui je la chante à mon petit fils.
Et chaque fois je ressens au plus profond de moi un élan de tendresse vers celle qui la fredonnait bien avant moi. Parce que cette chanson, c’est elle, tout simplement.

Quand j’étais petite fille, je gardais les cochons
Maintenant que je suis grande , je mange leur jambon

Et pourtant je regrette tant
Je regrette en secret
La petite maisonnette que mon père habitait

Quand j’étais petite fille, je marchais en sabots
Maintenant que je suis dame, je marche en talons hauts

Et pourtant je regrette tant
Je regrette en secret
La petite maisonnette que mon père habitait

Quand j’étais petite fille je dormais sans drap
Maintenant que je suis grande, je dors en pyjama

Et pourtant je regrette tant
Je regrette en secret
La petite maisonnette que mon père habitait