a. Les risques du métier

Cela fait déjà bien longtemps qu'elles viennent toutes les quatre régulièrement au lavoir. Elles en ont d'importantes choses à se dire. De celles qui ne peuvent s'exprimer ailleurs qu'autour du lavoir, sinon cela suscite des interprétations sans fin du village.

Malvina, d'origine gaélique parle la première :
— C'est de plus en plus difficile pour moi d'être appelée « bean nighe, » la femme laveuse ou la laveuse du gué. Je n'ai pas choisi mon destin qui est de laver sans cesse des linges ensanglantés ou les linceuls, parce qu'en songe je vois les prochaines batailles à venir. Cela parce que je viens d'un Autre Monde et que je ne fais qu'accomplir la mission qui m'a été confiée. Parfois j'en ai vraiment marre de ce boulot mortifère.

— Si tu crois que c'est mieux pour moi, dit alors Lindsey, elle aussi directement débarquée d'Écosse, j'en suis une aussi de ces lavandières de la nuit, annonciatrice des morts prochaines. C'est vrai que je sors la nuit, enfin uniquement les nuits de malheur, et que je hurle des mélopées funèbres de rue en rue, qui réveille tout le village. Je suis dans un état second dont je ne me souviens presque jamais, si ce n'est parce qu'on me le raconte. On m'a surnommé « La Crieuse » et tout le monde merejette. Qu'est-ce que j'en peux si les gens meurent et que chaque fois je suis la première à le savoir.


Alors Élisabeth prit la parole :
— Pour ma part j'ai beau être une bonne française, bonne chrétienne, élevée dans la religion, et en plus bonne Bretagne, et donc je croyais qu'on me laisserait tranquille, mais on m'a assigné d'expier les péchés des autres en devenant une âme sans repos. C'est injuste et éreintant En plus je dois punir les femmes qui continuent à laver le linge après le coucher du soleil, risquant ainsi de faire revenir le Diable en personne. Croyez-vous qu'un jour tout cela va cesser ?


— Ne croyez pas que le destin soit meilleur pour moi, se lamenta Maylis, fille de Maïwenn la bretonne, je suis une laveuse ar cannerez nos, qui veut dire une chanteuse des nuits. Et lorsqu'une autre ne veut pas m'aider à tordre le linge, je suis obligée de lui casser le bras, si elle refuse encore je dois la noyer, car il en est ainsi de la punition divine. J'ai trop de sang sur les mains, il va falloir que ça cesse.

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Les lavandières de nuit – 1861 – Yann Dargent