A - nuit de liesse

C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit de liesse que la dame noire fit irruption.

Lui, Cindy l’avait attendu toute une année . Pour lui, elle avait surveillé sa ligne . Être au top de sa beauté était primordial.
Une silhouette mince et musclée c’était le but ultime . A grand renfort de marches et de courses en bord de mer , elle s’y était astreinte . Son dentiste quant à lui, avait fini par lui interdire l’entrée du cabinet, à cours d’agents blanchissants . Son sourire à lui seul aurait pu suffire a illuminer les cœurs les plus sombres .
Son praticien s’était résolu  à le lui promettre une main sur le cœur :
« oui Cindy votre  sourire est éblouissant. »

En l'attendant , la jolie jeune femme avait même cassé sa tirelire.
Ses talons aiguilles flambant neufs, qu’elle se faisait fort d’apprivoiser  n’en finissaient plus d’étinceler.
Elle se languissait de l’attendre.
Elle avait appris également pour lui à se tortiller , à maouler du cul .
Elle maîtrisait l’art d’attirer les regards rien que se trémoussant.
Et puis,il est enfin arrivé à son plus grand plaisir .

Ce soir de veille de mardi gras, moulée dans son habit de paillettes elle l’a rejoint .
Plumes sur la tête , grâce chevillée au corps , elle ondulait au son des gros Ka*
pour lui ,Vaval, le Dieu Carnaval.
Elle exultait au milieu de ses copines scintillantes .
Les milliers de regards ricochaient sur sa peau métissée.
Un sentiment de bien être l’enveloppait.
L'arnachement d’ailes illuminées qu’elle portait sur le dos, enveloppé dans l’admiration du public avait cessé de lui peser .
Elle offrait son plus beau sourire à la foule venue en masse admirer la parade nocturne .
Tous les tracas du quotidien, les soucis grands ou petits s’étaient dissous dans la joie du Carnaval .
Elle défilait fièrement , insouciante, dans les rues de son île .

Soudain, au milieu du tintamarre ,  il lui a semblé entendre Marie crier son prénom.
Sans relâcher ses zygomatiques , elle juste pivoté  la tête et son auréole duveteuse.
Juste le temps d’écarquiller  les yeux en voyant les musiciens plonger sur le bitume, entendre les hurlements de la foule, qu’un choc l’a clouée au sol.
Impossible de bouger les jambes ! Mais c’est quoi cette putain de douleur qui lui broie le corps ?
Son mascara emporté dans le flot de ses larmes mêlées  à l'averse lui inonde le visage .
On lui demande si elle entend.
On lui demande de serrer une main.
On lui demande de ne pas bouger.
Mais de toute manière elle en est incapable. Étendue au sol, rue Lardenoy, elle tremble , elle a froid , elle a peur .
L’averse  glaciale qui n’en finit pas est atténuée par une veste qu’un spectateur pose sur elle.
L'entêtante mélopée des musiciens laisse place au tintamarre rouge des girophages de secours.

Pourquoi ? Pourquoi son dieu Carnaval a t il pactisé avec la dame en noire ?
Sur la civière , avant que la porte du camion de pompier ne se ferme, elle a le temps d’entendre que le véhicule fou a fait 17 victimes dont 10 personnes de sa troupe Magma. Et Marie ? Comment va Marie ?

Les freins du véhicule- sono , du groupe suivant  ont lâché dans la descente . Le conducteur, en état de choc,  pleure et assure avoir visé le lampadaire pour minimiser le drame humain.

Pour la première fois de son histoire , la nuit profonde du carnaval connaît l’horreur.
La pluie sur Basse-Terre, comme le roi Vaval pleurent les leurs.


* gros Ka , percutions en forme de gros cylindre , typique de la Guadeloupe

[texte inspiré de l’accident qui a frappé ce lundi 4 mars au soir  le  carnaval nocturne de Basse-Terre , en Guadeloupe -auquel nous assistions 50 m plus haut-  qui a fait 17 blessés]

Accident carnaval en images

Pensées pour les blessés du groupe Magma de Basse-Terre

Un texte terrible qui nous fait basculer de l'allégresse des préparatifs au drame ! C'est très bien écrit, et on sent que parfois les circonstances guident la plume, comme si il y avait urgence d'exprimer, d'extérioriser, car les émotions sont trop fortes pour être retenues.

Un sacré texte, comme une montagne russe, scotchant !

C'est horrible cette histoire que tu as si bien (racontée) écrite. Quelle angoisse.

Quelle histoire dramatique!

En te lisant, j'ai frissonné... Quelle horrible histoire !... mais très bien écrite.

Une liesse qui se termine en drame...On en frémit d'horreur.
Belle description au début, les costumes, le décor, la musique...
Bel hommage aux blessés.