A. Improbable rencontre

Plumentête a écrit:

" Certes, il fait beau, enfin, il y a du soleil, un gros nuage aussi. On dirait l’histoire de ma vie, en fait. Il y a toujours tout en même temps, le bon et le mauvais, le chaud et le froid, le rêve et le cauchemar, l’exaltation des débuts et la désillusion de la chute, oui cette météo illustre parfaitement l’histoire de ma vie, voilà !
Voilà et ça me fait une belle jambe, hein ! La météo en allégorie de ma vie, non décidément ma fille, tu n’es pas au mieux de ta forme en ce moment !
D’ailleurs qu’est ce qu’il t’a pris de venir marcher ici dans un décor certes idyllique pour qui aime les grands espaces, le froid, le silence et la neige mais toi ?
Toi, tu aimes les grands espaces urbains, l’humidité chaude, les paysages plats et brumeux, tu préfères Londres et Bruxelles à ces petits villages pyrénéens, ce ciel bleu et toute cette neige, ça te donne plutôt le cafard.
Alors pourquoi être venue ici, marcher avec des raquettes au pied et des bâtons dans les mains, toi quand tu marches c’est pour faire du shopping et dans les mains tu as des sacs emplis de tes dernières trouvailles irrésistibles !
Alors que tu te retrouves ici, dans ce décor idéal pour une publicité vantant les mérites du silence à des bobos en manque d’authenticité, c’était vraiment plus qu’improbable !
D’ailleurs tout est improbable dans cette histoire, cette rencontre avec ce directeur de salles de spectacles subitement féru de « nouvelles scènes musicales » est non seulement inattendue mais totalement invraisemblable et pour cause!
Comment imaginer qu'un type qui organise des concerts gigantesques allait s’intéresser à ce petit festival confidentiel et venir se perdre dans un petit coin de la Drôme Provençale ?
Elle-même y était revenue après des années pour se rappeler ses débuts dans le milieu du spectacle, de la scénographie, elle s’était dit qu'après dix ans de vie professionnelle il était temps de faire un point sur le chemin parcouru ; elle qui avait tant hésité à choisir une voie, qui avait eu tant de mal à prendre sa place dans le milieu professionnel, avait eu envie de revoir le monde de ces débuts.
«* La Vallée Électrique » existait toujours, c’était tout près de ses parents, alors en août dernier, elle était allée y faire un tour. Et elle y avait rencontré ce type en mal de dépaysement, venu se ressourcer en participant à un séjour de jeûne en pleine nature ! Cela l’avait fait bien rire, elle les connaissait ces séjours, les organisateurs étaient ses voisins durant ses années difficiles;  au village tout le monde rigolait en pensant que faire payer très cher des séjours durant lesquels les gens ne mangeaient pas, c’était vraiment une idée de génie.
Et voilà, ils avaient échangé quelques mots, elle avait été flattée quand il lui avait dit : « ah oui, je connais un peu votre travail, j’ai beaucoup aimé la scénographie que vous avez conçu pour le musée des Arts Décoratifs de Lyon et je me suis laissé dire que vous avez participé à la décoration du Zénith pour le passage de " *Brad le Silure": Vraiment j’ai apprécié votre culot et votre sens de l’esthétisme. » Ils avaient bu quelques verres ensemble, partagé quelques considérations sur leur travail puis s'étaient échangés leurs cartes professionnelles. Elle avait terminé la soirée très fière d’elle en se disant qu’elle ne le reverrait sûrement jamais et que ses compliments l'avaient comblé de fierté.
Aussi quand en plein mois de janvier, il l’avait rappelé pour lui parler d’un projet de festival complètement décalé, en pleine montagne pour « faire découvrir le charme de l’authenticité à tous ces groupes qui ne connaissent que le béton et le bitume et amener la culture jusque dans les lieux reculés », elle s’était dit qu’il délirait le monsieur GOLD des grandes scènes musicales. Mais quand il lui avait proposé une rencontre dans un grand café parisien elle s'y était rendue. Et voilà, il lui avait expliqué son projet, elle avait été séduite par l’idée pour le moins originale et maintenant pour le convaincre qu’elle avait tous les atouts nécessaires à la réussite du projet, elle devait d’abord réussir cette foutue randonnée à raquettes sans se perdre et sans mourir d’épuisement puisque Monsieur avait décidé qu’un chalet de montagne totalement inaccessible par la route, serait le lieu idéal pour bien travailler !
C’est sûr pendant le temps du trajet, elle avait eu le temps de faire le bilan de sa vie, de se retourner cent fois sur son chemin pour en mesurer l’étendue (et vérifier qu’elle ne s’était pas perdue !) d’imaginer plusieurs décors possibles et mises en scènes innovantes. Mais là, au bout d’une heure déjà (un vrai record pour elle !) elle se demandait surtout combien de temps devrait-elle encore marcher avant d'y être ?

* Brad le Silure est sorti tout droit de mon imagination!
* La Vallée Électrique existe bien

faire payer très cher des séjours durant lesquels les gens ne mangeaient pas, c’était vraiment une idée de génie.