A. Les drapeaux de prière flottent au vent

Cinq mois qu’il traine dans les rues de Katmandou. Cinq mois où l’euphorie du début a cédé peu à peu la place à la désillusion. Il ne sait même plus ce que lui et ses amis sont venus chercher dans ce pays. Ils ont vécu dans leurs tripes mai 68 et les barricades, rejeté le système de leurs parents et réclamé une nouvelle liberté. La tête pleine d’idéaux ils sont ensuite partis pour Katmandou où ils ont découvert la pauvreté, l’exil. Ils habitent sous le même toit, un minuscule deux pièces où il finit par souffrir de promiscuité et ils ne vivent que de petits boulots qui leur permettent à peine de s’approvisionner en drogue.

Il ne rêve que de revenir chez lui maintenant. Sans argent cela est malheureusement impossible. Pas question non plus d’en demander à sa famille. Il se sent pris dans un engrenage sans fin qui l’aspire comme du sable mouvant. Par chance il vient de décrocher une place de sherpa dans une expédition dans l’Himalaya. Ceci grâce à une association qui vient en aide aux paumés comme lui. Il a accepté, tout plutôt que de rester croupir à Katmandou !

Il peine sur les sentiers. Son dos lui fait mal, ses jambes deviennent raides et le soir des crampes le font souffrir. Il serre les dents, il avance malgré tout. Peu à peu ils s’élèvent en altitude. L’air se raréfie, il commence à ressentir le mal des montagnes. Il ne dit rien et supporte tout. Ni népalais, ni trekkeur, il n’appartient à aucun groupe. Les népalais ne font pas grand cas de lui et il n’ignore pas les remarques parfois ironiques des trekkeurs à son encontre. Tout cela il l’oublie tant le paysage qu’il traverse le subjugue. Des vallées fertiles, des pics enneigés au-dessus de leur tête. Un paysage grandiose où il se sent revivre.

La veille de passer leur premier col à 4600m il ressent un fort mal des montagnes au bivouac. Il a du mal à s’endormir. Finalement la nuit se passe bien et c’est en pleine forme qu’il arrive au col. La joie et la fierté se lisent sur tous les visages. Il sort de son sac le drapeau de prière qu’il a acheté à Katmandou et comme les trekkeurs l’attache en travers du col. Tout le groupe reste un bon moment à regarder tous ces drapeaux flotter au vent. Il ferme les yeux et respire à pleins poumons. Il se sent libre comme jamais il ne l’a été. Un troupeau de chèvres qui passe le col le tire de sa rêverie et il se demande bêtement si les animaux ressentent eux aussi le mal des montagnes.

La descente dans la vallée est agréable puis ils remontent vers leur prochain bivouac à 4800m. Objectif du lendemain : passer un col de 5200m. Ce soir-là pas de mal de tête mais il a l’impression de flotter. Il entend les autres comme dans de la ouate et ne saisit pas vraiment ce qu’ils disent. Il mange sans grand entrain. Personne ne remarque son état et il va se coucher dans sa minuscule tente. Que se passe-t-il dans la tête à ce moment-là ?  Dieu seul le sait ! Il découvre dans son sac un petit sachet de drogue. Drogue et mal des montagnes ne font pas bon ménage et on le retrouvera mort le lendemain matin le visage rayonnant et serein.

On te suit pas à pas dans ce double "trip". Des jeunes épris de ce qu'ils croient la liberté, puis devant la dure réalité, le rêve s'écroule peu à peu. Pour mieux rebondir dans cette ascension folle que tu décris tellement bien avec ce mal de montagnes qui le subjugue au départ et finit par le tuer. Tandis que les autres ne se soucient pas de lui. On dirait presque que c'est du vécu ou que tu as rencontré quelqu'un qui t'as raconté cette tragique aventure !

Tu l'as connu pendant une de tes grandes randonnées? En tout cas c'est tout comme. Comme d'hab très bien raconté.

Quel periple!
As tu vraiment vécu cette montée? Sinon c'est vraiment très bien imaginé!
En te lisant on est par moment à bout de souffle...
Magnifique!

Merci de vos commentaires
J'ai connu ce mal des montagnes au Népal. Ce bivouac avant un col qui culminait à 5600m où je me sentais dans de la ouate. Drôle d'impression et de l'inquiétude quand je me suis endormie. J'ai pensé à tous ceux que j'aimais!
Et le lendemain pleine forme pour passer le col!!
Le mal des montagnes peut être dangereux. Il faut faire attention

Un texte prenant... qui nous emmène d'un trip à l'autre.

Les états différents par lequel passe toute personne tentant de monter en haute altitude sont fidèlement retraduits. La fin m'a tout de même surprise, tu as vraiment bien raconté le tout. Merci Sherkane :-)

Katmandou n'était qu'un mirage mais on ne s'attend pas a une fin aussi tragique .

La fin est étonnante, l'important étant qu'il ait été serein. Je suis en train de lire une nouvelle dont une partie se passe justement sur l'Everest, j'aime ces coïncidences

Bravo pour le texte, très vivant, très bien raconté
La fin sonne comme presque comme une délivrance, malgré le drame...

Un très beau récit que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt et d'attention, et à la fin avec un serrement au coeur...
J'aime beaucoup, Sherkane !

Ton histoire est très bien racontée qui mêle avec adresse la fiction et le vécu. On te suit pas à pas sur les pentes abruptes et bien écrites de ton texte. J'ai un pincement au coeur pour la fin, il avait si bien remonté la pente!

J'étais triste de lire la fin de ce très beau texte, car j'étais empli d'espoir tout au long de la lecture.
J'avais aussi ressenti du vécu.

rien de grave et surtout ne rien changer, mais selon la consigne les mots imposés "doivent obligatoirement constituer un début de phrase"