A. Retour au pays

C’est un mélange unique de sons, de fragrances et de sensations.
Le ronronnement du moteur du ferry…
Le roulis qui soudain s’apaise, une fois la barre des Sanguinaires passée.
Un instant comme suspendu… la mer étale, le ciel qui hésite entre jour et nuit...
Au loin on devine la côte dans le petit matin
L’air est chargé d’un parfum délicatement salé, avec un arrière-goût de chaud vaguement tiédi par la nuit à peine finie.
Les craquements des escaliers métalliques, cette odeur omniprésente de métal chauffé par le soleil.
La lourdeur quasi pesante de l’atmosphère dans la cale, comme une charge sur les épaules.
Et toujours ce mélange d’odeurs, métal surchauffé, carburant, relents de gaz d’échappement.
Le grondement léger des pas des uns et des autres, le claquement des portières qu’on ouvre et qu’on ferme, les cris des enfants fatigués par une nuit plus ou moins réparatrice, l’impatience de tout un chacun qu’on sent croître comme s’il s’agissait d’un être vivant.
Et puis le choc sourd de la porte qui s’ouvre, l’éclat du jour qui soudain se fraie un passage dans la soute obscure. Ombre et lumière se mêlent dans une danse joyeuse.
Le rugissement des premiers moteurs, la cascade de claquements de portières accompagnée du son plus sourd des coffres refermés dans la précipitation avant de rejoindre l’intérieur des voitures.
Les narines sont soudain assaillies par un mélange d’essence et de gaz d’échappement.
Et juste derrière on peut déjà deviner l’odeur du maquis, lointaine, délayée pour l’instant dans l’air marin.
Quitter la soute et se prendre la lumière du petit matin en pleine face, respirer l’odeur de sa terre, entendre la ville qui doucement se réveille, deviner les bruits du marché qui s’installe un peu plus loin sur le cours.
Suivre la longue file de voitures qui quittent le port et humer par la fenêtre ouverte les senteurs oubliées au cours de l’année écoulée.
A la sortie de la ville attaquer la montée de Saint Georges.
Lentement le maquis prend le dessus sur la mer.
La fraîcheur de la source au sommet du col…
Les châtaigniers qui laissent s’exhaler cette odeur douce-amère, un brin écoeurante, escortent le voyageur qui rentre au pays.
La chaleur du bord de mer s’estompe, supplantée par la fraîcheur matinale de la montagne. L’air se fait plus sec, fini le goût de sel sur les lèvres…
Enchaîner les virages, accueillir presque avec plaisir ce léger fond de nausée dû à une conduite un peu trop brutale sur un estomac vide.
Et dernière étape, s’arrêter à la porte du vieux café, plus vieille licence IV de l’île, retrouver cette odeur unique de propre, de mauvais café, de vieux tabac et, une fois encore, de maquis.
Ecouter chanter l’accent de la tenancière avec délectation.
Un jus de fruits plus tard, sentir peser dans sa main la vieille clé rouillée qui ouvre les portes de la liberté pour les deux mois à venir.
Fermer les yeux un bref instant et laisser toutes ces sensations s’installer au plus profond de soi…
Les garder précieusement, souvenirs de ce que c’est que rentrer chez soi.

J’ai longtemps cru que seul le ferry pourrait éveiller en moi ces souvenirs.
Et puis j’ai emmené ma moitié sur mon île, pour une petite semaine, en avion.
Et en descendant de la carlingue, sur le tarmac d’un aéroport qui n’était pourtant ni un port ni ma ville habituelle, j’ai poussé un profond soupir de bonheur : cette odeur de maquis mêlé à l’air marin venait à nouveau de me chatouiller les narines.
J’étais de retour… aucun doute possible.

Superbe, ton évocation de cette odeur particulière du ferry puis celle du maquis qui prend le dessus, enfin le goût du jus de fruits, les bruits des portières....tous nos sens sont en éveil à la lecture de tes sensations qui perdurent même après un voyage en avion !

Amanda a raison, c’est magnifique à lire , on y est sur ton île, on y est avec toi et il suffit de fermer les yeux pour sentir les odeurs du maquis .
J’ai pris un claque là. Merci pour ça

J’allais justement écrire les mêmes commentaires que les deux précédents...

Bravo donc pour ce texte superbe où tu nous emmènes avec toi et nous fais ressentir les odeurs spécifiques des endroits où tu es passée !

J'ai vécu ce retour en ferry pas plus tard que samedi matin, donc tous les sons et les odeurs d'accostage au petit matin dans le port sont bien présents en moi. Tu les décris parfaitement de ton écriture ciselée. Contrairement à toi, je n'habite qu'à 5 minutes du port donc pas de route ni de nausée sur la route. Comme toutes les régions, la Corse a son odeur mais je n'ai pas trouvé plus puissante que celle du maquis.

Tu nous embarques à tes côtés dans ce périple. On a le sentiment de partager et l'espace d'une lecture on se sent dans le ferry, le ferry et la vieille licence IV…
une fois encore par la qualité de ton écriture qui coule comme un champ de rivière un jour de vacances…

C'est fou la puissance évocatrice de ton écriture! Je me suis laissée totalement emmener dans ton périple et j'ai partagé tes ressentis, vécu ton trajet et ton arrivée.

Tu décris si bien cet attachement pour ton ile !

Quelle belle écriture et si évocatrice . On se sent avec toi durant ce voyage. Bravo

Je ne connais pas l'odeur de maquis mais tu en parles magnifiquement bien, Madeleine.
Quel joli récit !

Merci à tous.