A. Les miroirs et moi
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A. Les miroirs et moi
Je n’ai pas toujours détesté les miroirs. Au contraire, enfant cet objet me fascinait. Je me souviens avoir passé des heures le visage collé contre la psyché de ma mère. Une magnifique psyché en bronze ciselé sur pied, posé sur le marbre de sa coiffeuse, avec effet grossissant sur l’autre face. J’essayais à l’époque de comprendre le mystère de mon reflet comme un double de moi-même. Sans compter qu’en associant ce reflet au grand miroir de la coiffeuse, ma tête se multipliait à l’infini, je n’en voyais jamais le bout et, à ce phénomène, le décor inversé de la chambre m’apparaissait comme une étrangeté à laquelle je ne trouvais aucune explication.
Puis le temps est passé et avec l’énigme du miroir est née mon aversion pour cet objet.
Il faut avouer que ma laideur y était pour beaucoup. Je ne supportais pas mon image : mes oreilles décollées, mon nez démesuré, mes yeux rapprochés me donnaient ce qu’on appelle un physique ingrat. Bref, à l’âge adulte lorsque j’emménageai pour la première fois dans un appartement, il ne me vint pas l’idée d’y mettre un miroir. J’ai toujours vécu sans et me suis efforcé d’éviter tout ce qui pouvait me renvoyer mon reflet. Si bien que lorsque qu’il m’arrivait de le surprendre par surprise je ne me reconnaissais pas par manque d’habitude et ma laideur me sautait aux yeux d’autant plus.
Je vous laisse imaginer alors mon désarroi le jour où je fus pris comme gardien au musée … du miroir !
En effet, lorsque je postulai, la nature de l’établissement n’était pas spécifiée sur l’annonce. Le directeur m’en fit visiter les lieux et je fus pris d’un malaise incontrôlable. Mais, je ne pouvais raisonnablement refuser le poste, j’avais besoin de gagner ma vie et c’était la seule réponse positive que j’avais eue.
Le premier jour de ma prise de fonction à l’essai j’avais un trac inouï. Mais, peu à peu, je m’aperçus qu’il n’était pas si difficile, une fois avoir repéré la position de chaque miroir, d’éviter d’y porter mon regard. Ma profession qu’on nomme aujourd’hui agent d’accueil et de surveillance, consistait à déambuler de long en large dans chaque pièce et de veiller à la quiétude des visiteurs. Seule exigence : porter le costume élégant que la maison fournissait et être le plus discret possible, se fondre dans le décors. Ça, je savais le faire depuis toujours, rapport à ma laideur. Donc ma mise à l’épreuve fut concluante.
Le musée était un bâtiment insolite composé de pièces empilées en étages reliées par un escalier en colimaçon dont on avait garni le plafond d’un immense miroir rond qui donnait l’impression d’escalier infini. Cela me donnait le vertige rien que d’y monter.
L’histoire du miroir commençait au rez-de-chaussée avec l’obsidienne polie en Anatolie, puis en cuivre en Mésopotamie. Les Romains utilisèrent l’alliage d’étain, d’argent et même d’or. Au fur et à mesure que l’on montait aux différents niveaux se révélaient de fabuleuses découvertes. Un espace était même dédié à la symbolique du miroir dans les différentes cultures ainsi qu’au stade du miroir défini par Lacan comme le moment où l’enfant prend conscience que c’est lui-même qu’il voit dans son reflet, cela participant à la construction du moi.
Le miroir dans la littérature comme porte vers un autre monde pour Lewis Carol ou Jean Corcteau. Sans parler du miroir brisé qui apporte sept ans de malheur. Bref, entre les croyances et les superstitions du peuple mongol, en passant par l’Egypte, la Chine et le Tibet, j’appris beaucoup de choses mais ces découvertes m’étaient d’une grande perturbation. Plus le miroir me devenait familier et plus je m’en éloignais. Je ne savais plus que penser de cet objet complexe pour lequel je nourrissais une sorte de phobie.
Certains visiteurs revenaient, attirés irrésistiblement par la fascination que le miroir exerçait sur eux. Je les reconnaissais, ils me devenaient familiers, surtout, une d’entre eux qui, ma foi, me plaisait bien et avec laquelle nous échangions des sourires timides.
Elle s’asseyait sur un des sofas disposés dans les salles, sortait un carnet et écrivait sans relâche. J’étais curieux d’elle mais restais discret, en retrait, comme il m’avait été demandé. C’est elle qui m’aborda un jour, me demandant des détails sur ma profession de gardien de musée. Elle était étudiante et préparait un mémoire sur le rôle du miroir dans la société. Je lui répondis que mon aversion pour l’objet ne faisait pas de moi le meilleur des interlocuteurs et que, de plus, mon employeur exigeait de moi de me fondre dans le décors. Cela la fit sourire et elle me proposa alors de nous retrouver après mon travail au bistrot du coin de la rue pour en bavarder. J’étais dans tous mes états, jamais une jeune-fille ne m’avait abordé ainsi, j’en avais des papillons dans l’estomac !
Après ce rendez vous, Lucie et moi nous sommes revus souvent et sommes même devenus amis. Nous ne faisions pas que parler de son mémoire, nous nous rencontrions aussi pour nous promener au parc, manger un morceau ensemble, aller au cinéma et, peu à peu, notre amitié évolua vers un tendre sentiment. Ragaillardi par cet amour naissant, j’osai une déclaration à ma dulcinée qui me répondit par un langoureux baiser.
Voila c’est ainsi que ma vie prit un tournant. Je suis le plus heureux des hommes. Je peux même ajouter que les miroirs ne m’indisposent plus autant. Si j’aperçois par hasard mon visage en passant devant l’un d’eux, je ne suis plus pris de nausée et j’ose ajouter que je me trouve moins laid.
Ah ! Le pouvoir de l’amour !
Puis le temps est passé et avec l’énigme du miroir est née mon aversion pour cet objet.
Il faut avouer que ma laideur y était pour beaucoup. Je ne supportais pas mon image : mes oreilles décollées, mon nez démesuré, mes yeux rapprochés me donnaient ce qu’on appelle un physique ingrat. Bref, à l’âge adulte lorsque j’emménageai pour la première fois dans un appartement, il ne me vint pas l’idée d’y mettre un miroir. J’ai toujours vécu sans et me suis efforcé d’éviter tout ce qui pouvait me renvoyer mon reflet. Si bien que lorsque qu’il m’arrivait de le surprendre par surprise je ne me reconnaissais pas par manque d’habitude et ma laideur me sautait aux yeux d’autant plus.
Je vous laisse imaginer alors mon désarroi le jour où je fus pris comme gardien au musée … du miroir !
En effet, lorsque je postulai, la nature de l’établissement n’était pas spécifiée sur l’annonce. Le directeur m’en fit visiter les lieux et je fus pris d’un malaise incontrôlable. Mais, je ne pouvais raisonnablement refuser le poste, j’avais besoin de gagner ma vie et c’était la seule réponse positive que j’avais eue.
Le premier jour de ma prise de fonction à l’essai j’avais un trac inouï. Mais, peu à peu, je m’aperçus qu’il n’était pas si difficile, une fois avoir repéré la position de chaque miroir, d’éviter d’y porter mon regard. Ma profession qu’on nomme aujourd’hui agent d’accueil et de surveillance, consistait à déambuler de long en large dans chaque pièce et de veiller à la quiétude des visiteurs. Seule exigence : porter le costume élégant que la maison fournissait et être le plus discret possible, se fondre dans le décors. Ça, je savais le faire depuis toujours, rapport à ma laideur. Donc ma mise à l’épreuve fut concluante.
Le musée était un bâtiment insolite composé de pièces empilées en étages reliées par un escalier en colimaçon dont on avait garni le plafond d’un immense miroir rond qui donnait l’impression d’escalier infini. Cela me donnait le vertige rien que d’y monter.
L’histoire du miroir commençait au rez-de-chaussée avec l’obsidienne polie en Anatolie, puis en cuivre en Mésopotamie. Les Romains utilisèrent l’alliage d’étain, d’argent et même d’or. Au fur et à mesure que l’on montait aux différents niveaux se révélaient de fabuleuses découvertes. Un espace était même dédié à la symbolique du miroir dans les différentes cultures ainsi qu’au stade du miroir défini par Lacan comme le moment où l’enfant prend conscience que c’est lui-même qu’il voit dans son reflet, cela participant à la construction du moi.
Le miroir dans la littérature comme porte vers un autre monde pour Lewis Carol ou Jean Corcteau. Sans parler du miroir brisé qui apporte sept ans de malheur. Bref, entre les croyances et les superstitions du peuple mongol, en passant par l’Egypte, la Chine et le Tibet, j’appris beaucoup de choses mais ces découvertes m’étaient d’une grande perturbation. Plus le miroir me devenait familier et plus je m’en éloignais. Je ne savais plus que penser de cet objet complexe pour lequel je nourrissais une sorte de phobie.
Certains visiteurs revenaient, attirés irrésistiblement par la fascination que le miroir exerçait sur eux. Je les reconnaissais, ils me devenaient familiers, surtout, une d’entre eux qui, ma foi, me plaisait bien et avec laquelle nous échangions des sourires timides.
Elle s’asseyait sur un des sofas disposés dans les salles, sortait un carnet et écrivait sans relâche. J’étais curieux d’elle mais restais discret, en retrait, comme il m’avait été demandé. C’est elle qui m’aborda un jour, me demandant des détails sur ma profession de gardien de musée. Elle était étudiante et préparait un mémoire sur le rôle du miroir dans la société. Je lui répondis que mon aversion pour l’objet ne faisait pas de moi le meilleur des interlocuteurs et que, de plus, mon employeur exigeait de moi de me fondre dans le décors. Cela la fit sourire et elle me proposa alors de nous retrouver après mon travail au bistrot du coin de la rue pour en bavarder. J’étais dans tous mes états, jamais une jeune-fille ne m’avait abordé ainsi, j’en avais des papillons dans l’estomac !
Après ce rendez vous, Lucie et moi nous sommes revus souvent et sommes même devenus amis. Nous ne faisions pas que parler de son mémoire, nous nous rencontrions aussi pour nous promener au parc, manger un morceau ensemble, aller au cinéma et, peu à peu, notre amitié évolua vers un tendre sentiment. Ragaillardi par cet amour naissant, j’osai une déclaration à ma dulcinée qui me répondit par un langoureux baiser.
Voila c’est ainsi que ma vie prit un tournant. Je suis le plus heureux des hommes. Je peux même ajouter que les miroirs ne m’indisposent plus autant. Si j’aperçois par hasard mon visage en passant devant l’un d’eux, je ne suis plus pris de nausée et j’ose ajouter que je me trouve moins laid.
Ah ! Le pouvoir de l’amour !
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Les miroirs et moi
Un joli retournement de situation pour cet homme que rebutent les miroirs.
Une excellente mise en scène du musée, couplée à diverses références historiques, tu as vraiment réussi à écrire un texte bluffant !
Ah ! Comme tu dis, l'amour fait tout, rend même les laids beaux et leur redonne la confiance en soi !
Une excellente mise en scène du musée, couplée à diverses références historiques, tu as vraiment réussi à écrire un texte bluffant !
Ah ! Comme tu dis, l'amour fait tout, rend même les laids beaux et leur redonne la confiance en soi !
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A. Les miroirs et moi
Les miracles de l’amour!
Tu as construit là un texte magnifique et ce n’était pas facile.
Tu amènes la fin de façon délicate, juste comme il faut.
Bravo, j’ai beaucoup aimé !
Tu as construit là un texte magnifique et ce n’était pas facile.
Tu amènes la fin de façon délicate, juste comme il faut.
Bravo, j’ai beaucoup aimé !
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A. Les miroirs et moi
Un texte bien travaillé avec des éléments historiques. Tu les connaissais déjà ou tu as fait ces recherches pour la consigne?
Bravo pour cette histoire auquelle on accroche tout de suite à la lecture
Bravo pour cette histoire auquelle on accroche tout de suite à la lecture
Sherkane
Re: A. Les miroirs et moi
Je suis contente que mon texte vous ait plu.
Sherkane : je connaissais certaines informations sur le miroir car je suis moi-même assez fascinée par cet objet mais j'ai fait des recherches pour ce qui est de son histoire. J'ai abrégé dans mon texte de peur d'être ennuyeuse mais j'ai fait des découvertes très intéressantes.
Sherkane : je connaissais certaines informations sur le miroir car je suis moi-même assez fascinée par cet objet mais j'ai fait des recherches pour ce qui est de son histoire. J'ai abrégé dans mon texte de peur d'être ennuyeuse mais j'ai fait des découvertes très intéressantes.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Les miroirs et moi
Voilà un texte qu'on ne « lâche pas » quand on a commencé de le lire. C'est un signe manifeste de qualité !
Ensuite, il raconte une histoire que l'auteur imagine et rend crédible grâce à du factuel vérifiable.
Enfin il y a un rebondissement inattendu et à la fois plausible qui débouche sur une une finale qui boucle l'histoire.
Donc une réussite du début à la fin !
Ensuite, il raconte une histoire que l'auteur imagine et rend crédible grâce à du factuel vérifiable.
Enfin il y a un rebondissement inattendu et à la fois plausible qui débouche sur une une finale qui boucle l'histoire.
Donc une réussite du début à la fin !
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"Écrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres. "
Blaise Cendrars
ICI : Le Blog d'AlainX
alainx- Humeur : ça va ! et vous ?
Re: A. Les miroirs et moi
Une belle histoire, bien menée, agréable à lire et avec une fin surprenante (mais dans le bon sens! )
madeleinedeproust- Humeur : littéraire...
Re: A. Les miroirs et moi
Idée très originale d'articuler l'étrangeté de la consigne avec l'histoire de cet homme qui fuit son regard au quotidien .
Et comme disait la chanson : "La beauté cachée des laids, des laids, se voit sans délai, délai"
Et comme disait la chanson : "La beauté cachée des laids, des laids, se voit sans délai, délai"
silhène- Humeur : positive, autant que possible
Re: A. Les miroirs et moi
J'ai beaucoup aimé ton premier paragraphe, comme beaucoup d'enfants, j'avais testé cette étrange impression ressentie lorsqu'on se voit à l'infini mais, contrairement à ton héros, c'est toujours aussi fascinant pour moi. J'ai apprécié aussi cette déambulation au milieu des miroirs et de leur histoire et en prime tout est bien qui fini bien, que demander de plus
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Martine27
Martine27- Humeur : Carpe diem ou Souris quand même
Re: A. Les miroirs et moi
Une très belle histoire magnifiquement racontée, Myrte ! J'ai beaucoup aimé la lire. Bravo !
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Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie.
(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
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