A - Attention aux souhaits

C’est énervant, mais que c’est énervant.

Une fois de plus, je n’ai pas choisi la bonne file. Vous avez aussi dû le remarquer, jamais moyen de se mettre dans celle qui avance le plus vite.

Bien sûr, vous vous mettez à râler dans votre barbe quand vous vous apercevez que celle d’à côté se vide à la vitesse grand V.

Bêtement, vous vous glissez subrepticement dedans et vous disant, qu’enfin, vous n’allez plus perdre votre temps, quand paf ! Le trouble-fête qui demande ceci ou cela pointe son nez.

Vous vous retrouvez à piétiner sur place avec une seule envie, le dégager à coup de pied dans les fesses, le voir disparaître.

Et, toujours aussi stupidement, vous regagnez la première file en vous disant qu’en fin de compte, celle-ci est bien mieux, d’autant que la personne qui était derrière tout à l’heure est en train de passer. Flûte et flûte, c’est trop injuste.

À nouveau, le grain de sable qui vient enrayer le bon déroulement des choses, comme si l’esprit du fâcheux qui vous avait freiné auparavant, c'était mystérieusement déplacé dans ce nouveau corps. Autant le dire, c’est à hurler de frustration.

Donc, ce jour-là, j’étais dans une file qui n’avançait pas et je me prenais à rêver. Comment savonner la planche à tous ces importuns ?

J’étais bien sûre qu’ils ne pouvaient pas être aussi pressés que moi. J’étais persuadée qu’ils étaient tous venus à cette heure-ci rien que pour m’embêter !

Je me mis à regarder autour de moi, essayant de capter l’attention d’une personne aussi énervée que moi, histoire de pouvoir décharger ma bile avec elle.

Mes yeux croisèrent ceux amusés d’une vieille femme que ma déconvenue semblait mettre en joie.

Au temps, pour la solidarité ! Je lui décochai donc un regard furieux. Pour moi, c’était le standard de l’enquiquineuse de service, la retraitée qui vient délibérément aux heures de pointe pour se sentir entourée parce qu’elle s’embête chez elle.

J’avais envie de l’insulter comme ça, juste pour le plaisir et pour meubler cette attente insupportable, c’est dire mon degré d’énervement !
Son sourire en coin me fit détourner la tête avant d’en venir à un geste que je pourrais regretter.

Une idée s’imposa à moi, venue, je ne sais trop d’où.

Je m’imaginai que les gens devant moi se mettaient à s’envoler, à disparaître purement et simplement dans les airs, me laissant libre d’atteindre en toute tranquillité le but tant convoité.

J’en soupirai d’aise en voyant tous les péquins encombrants s’effacer. Une bourrade dans mon dos me fit redescendre sur terre et une voix peu aimable m’interpella « Alors, vous attendez quoi pour avancer ? »

Incroyable, pendant que je rêvassais, la foule devant moi avait dû avancer à toute allure.

Très satisfaite de moi, je jetai un regard en coin vers la vieille femme. Son sourire me parut encore plus narquois et, pour tout dire, inquiétant.

Depuis ce jour, je suis toujours la première dans la file. Le seul problème, c'est que les gens disparaissent lorsque je m’approche d’eux et que je n’ai plus aucune interaction sociale. J’avoue qu’au début, j'avais trouvé ça plutôt reposant de ne plus être obligée de papoter avec de parfaits inconnus. En revanche, maintenant que je suis devenue une ermite bien malgré moi, je me dis que les moments de pause dans une file peuvent être salutaires, attendre c’est presque toujours espérer.