a. Poésie et musique

Le jeune-homme écrivait penché sur l’écritoire et s'appelait Henri. Il était tard et il avait froid dans cette chambre sous les combles, dans cette immense demeure parisienne, où on avait bien voulu l'accueillir « par charité chrétienne », comme Madame avait dit si à son mari, parce que c'est ainsi qu'il convient de faire dans ces cas-là. Juste un loyer de principe et cela leur serait rendu au centuple dans les siècles des siècles. Monsieur de Saintonge avait donné son assentiment contre un supplément de frivolités que Madame lui accorda selon l'obéissance que l'on doit à son mari légitime. Il faut savoir se sacrifier pour gagner son ciel.

Le jeune homme écrivait sous l'inspiration du moment, qui venait aisément, ou se montrait capricieuse voire absente. Parfois il songeait que l'inspiration est une gueuse comme Mademoiselle de Passiflore, aguicheuse mais qui avait fini par se refuser avant de s'enfuir avec ses manuscrits, ses derniers poèmes dont il rêvait qu'ils soient publiés chez A. Durand & Fils éditeurs place de la Madeleine à Paris

Le jeune homme ne faisait pas qu'écrire. Il attendait aussi. La plume suspendue à la main. Il attendait sa muse qu'il espérait rencontrer bientôt. Pour l'instant il devait se contenter de l'entendre ou plus exactement d'entendre son piano et parfois il faut le dire, sa voix délicieuse, d'une clarté limpide comme une eau vive dévalant le torrent. Elle fredonnait les morceaux qu'elle apprenait.
Depuis quelque temps elle se perfectionnait reprenant régulièrement le nocturne n° 21 de Chopin. Alors au bout de quelques instants la plume du jeune Henri se remettait à courir sur le papier de l'écritoire. Il composait, il composait des poèmes, et encore des poèmes pour l'amour de sa muse. Il rêvait de les lui déclamer tandis qu'elle les mettrait en musique au piano.

Hélas, un jour il fallut déchanter. Celui qui jouait du piano dans la maison d'à côté s'appelait Paul Fournier. La voix qu'il entendait était celle de sa logeuse qui fredonnait à l'étage inférieur au son des mélodies du pianiste. Bien que contraint de déchanter, Henri prit contact avec Paul et finit par quitter sa logeuse, chanteuse amateur.

Henri continua ses œuvres poétiques. Elles furent mises en musique par Paul Tardieu. Henri dédia le recueil à  Thérèse Tardieu dont il ne cessa d'être amoureux, sans oser lui déclarer sa flamme.
Le recueil fut effectivement édité chez Durand & Fils sous le titre « Amour effacé, mélodie pour chant et piano »

Le jeune homme qui écrivait penché sur l'écritoire s'appelait Henri de Montebello et le compositeur Paul Fournier.