A.Pleine lune

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PLEINE LUNE.
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Il est bien tôt ce 6 janvier quand Toinon ouvre les volets de son maset*.
Comme chaque matin, elle salue le mont Ventoux qui domine sa belle vallée. Elle ne manque jamais cette occasion pour rendre hommage au géant de Provence.
Aujourd'hui, Toinon n'est pas de bonne humeur : son agassin* la fait souffrir. De plus, comme toujours les nuits de pleine lune,  elle a bien mal dormi.

Aujourd'hui c'est la fête de l'épiphanie et c'est son anniversaire : 80 ans,  ça ne lui fait pas plaisir!
Ses fils Frédéric et Marius ne lui ont plus rendu visite depuis plusieurs mois. Au nouvel an, elle a reçu de chacun une carte postale, rien de plus...

Elle se secoue un peu : "Vaï*, garde le moral!" aurait conseillé Anatole son pauvre mari s'il n'était pas parti trop tôt, 15 ans déjà!

Boudiou*, pense Toinon, aujourd'hui 6 janvier, il faut mettre les rois mages dans la crèche et préparer le gâteau des rois! Elle sourit en pensant que depuis toujours c'est sa brioche d'anniversaire.
Tout en se nouant le tablier autour de la taille avant de pétrir la pâte, elle se remémore les ingrédients à ajouter à la brioche, car en Provence, c'est cette pâte qui sert à la confection de la pâtisserie de l'épiphanie. Ne rien oublier : les écorces d'oranges, les fruits confits et les gros grains de sucre.
A l'intérieur, glisser une fève et un petit santon. Celui qui trouvera la fève sera le roi et celui qui aura le santon sera son sujet.
Ah! Ne pas oublier la part du pauvre. Il en passe souvent des mendiants à l'épiphanie...Ils arrivent par la draille* et viennent quémander leur part.

La brioche est à peine enfournée que Mireille la voisine frappe au fenestron* de la cuisine.

- Toinette, nous ne viendrons pas tout à l'heure pour tirer les rois avec toi. C'est pleine lune et tu connais la légende des loups garous qui rodent sur les caminets*.
Matthias et moi ne sommes pas rassurés. Elle n'apporte rien de bon celle-là quand elle est ronde! Tiens je te fais un poutoun* pour ton anniversaire!
Elle repart en courant car c'est jour de mistral.

Toinon déçue, ravale ses larmes.
Tant pis, elle le mangera seule son gateau, elle trouvera la fève et elle sera la reine! Mais qui sera le roi?
Il est déjà 18 heures la nuit tombe.
Elle jette un regard par la fenêtre. Mais il est là, bien sûr le vrai roi! Inutile de tirer la fève. C'est l'immuable, l'indétrônable mont Ventoux au-dessus duquel la pleine lune semble faire un grand sourire!



*maset : un petit mas.
*agassin : cor au pied
*vaï : allons va!
*Boudiou : Bon Dieu
*draille : chemin affecté au passage des troupeaux
*fenestron : petite fenêtre
*caminet : petit sentier
*poutoun : baiser

Je ne te savais pas belge provençale !
J'ai lu ton texte avec dans la tête « la pastorale des santons de Provence » de mon enfance : 33 tours écouté chaque année sur un vieux phono !

J'ignorais la fève et le santon : le roi et le sujet…

Mais sur le fond des choses, ce drame de la solitude prend aux tripes.
D'autant que j'ai lu pas plus tard qu'hier deux ou trois récits sur le sujet.

Notamment ceci chez une de mes amies du net

http://nicole-giroud.fr/vieillesse-solitude-et-marketing-5495

Merci AlainX.J'ai été touchée par ton commentaire.
Je n'ai jamais aimé la péiode des fêtes en particulier parce que je pense aux drames de la solitude...
La vidéo que tu m'as envoyée, est poignante et j'ai eu les larmes aux yeux en la visionnant.

Je suis effectivement provençale à mi-temps.
Je suis dans ce petit coin de paradis pour l'hiver : le calme et la beauté des paysages me plaisent beaucoup en cette saison.

Zéphyrine, tu nous offres un beau voyage en pays provençal où règne en maître le mont Ventoux. La solitude est partout, même dans les plus beaux paysages... Et, c'est vrai que les âmes solitaires dans la nature finissent par s'attacher aux arbres, à la rivière ou à une montagne à défaut d'êtres humains. Ils ne seront pas déçus...

Ah, Zéphyrine comme tu parles bien de "notre" Mont Ventoux au point d'en emprunter le langage.
Comme tu as bien su rendre poignante la solitude de ton héroïne...
On pourrait croire que ce n'est qu'en ville qu'on néglige ses "vieux", c'est bien évidemment faux.
J'avais déjà vu la vidéo, elle est très bien faite.
Mais j'ai quand même le sentiment que dans les "petites entités" comme celle où nous habitons à temps partiel, la solidarité n'est pas un vain mot.
J'ai eu maintes fois l'occasion de constater l'entraide qui y régnait, je ne te citerai pas d'exemples concrets, tu les connais comme moi.
Je veux donc aussi affirmer que ton texte aurait pu avoir une autre fin, il faut croire à la solidarité car elle existe aussi.
pour ton texte !

Cette virée en Provence est très agréable. J'aime beaucoup cette personnalisation du Ventoux!

Un joli récit, très imagé, je sens d'ici l'odeur de la bonne brioche.

J'ignorais également l'histoire de la fève et du santon, je l'apprends en te lisant.

La vieillesse, la solitude, oui, des sujets bien difficiles et bien tristes.

Merci pour ce beau texte, Zéphyrine.

Un texte que j ai eu plaisir à lire
Merci pour les traductions du patois local
Cette dame est seule Mais,pas tant que ça puisqu elle reçoit des carte , que ses voisins passent.(même en vitesse)
mais du coup j aime ressentir sa vision des choses à elle
Un récit toute en pudeur
Un bon moment merci

Ton texte parlait avé l'assent ! Très beau récit, la nature console de beaucoup de choses, et puis le pauvre passera peut-être lui tenir compagnie