A - La vérité de l'enfant

Sur le sol cimenté, à la craie, il a dessiné un bonhomme comme  en dessinent les jeunes enfants.
Faut-il y  voir un symbole ? La tête du dessin est enfermée dans une sorte de casque scaphandre sous lequel s’affiche un timide sourire.

Puis, l’enfant s’est déchaussé ; assis, les genoux emprisonnés dans ses bras, la mine boudeuse, il refuse obstinément de quitter sa prison symbolique malgré les supplications de sa maman qui tente de l’allécher par la promesse  de sorbet à la fraise qu’il affectionne particulièrement en  période normale.

En vérité, depuis le confinement du printemps  précédent, il n’est pas redevenu le gosse turbulent qui ne  demeurait pas  en place plus de cinq minutes consécutives. Tout comme il affirme, péremptoire, qu’il doit laisser pousser  ses cheveux et s’habiller de blanc de la tête aux pieds …

Quant aux jeux vidéos dont on  l’extirpait difficilement, ils sont délaissés. De ces semaines où l’école  était fermée, du « Restez chez vous »,  consigne incontournable, de cette angoisse  qui transpirait  tant de la télévision que des conversations téléphoniques des parents, l’enfant  en a été en quelque sorte contaminé.

Les parents ont pourtant pris les précautions préconisées par les psychologues  qui se sont longuement exprimés. Ils ont tenté  de relativiser la pandémie en adaptant les informations au jour le jour à ce qui leur apparaissait le plus adapté  au ressenti de l’enfant en mesurant toutefois  les contradictions  véhiculées depuis le plus haut sommet de l’État. Un jour, il s’agissait d’une « grippette »  en Chine lointaine, un autre jour, le port du masque   ne concernait pas le grand public mais il était préconisé le lendemain, les restaurants étaient interdits mais il fallait retourner à l’école. Et les enfants et adolescents  ne risquaient  rien mais les écrans avaient diffusé la photo de cette jeune fille de seize ans décédée du coronavirus …

Et puis, il y  a cet échec  accompagné  de controverses  à propos du traitement à appliquer  et du vaccin qui reste à découvrir. Là,  Maman et Papa ont peut-être sous estimé  l’intérêt  de l’enfant sur le sujet au motif qu’il est encore trop jeune pour comprendre ces choses-là et à fortiori pour choisir une voie de son orientation future. Tout comme, ils ont cru calmer son inquiétude  en lui affirmant qu’un jour prochain, tout redeviendrait comme avant.

Mais ce jour-là, face à l’enfant enfermé dans sa prison symbolique, les parents  ont pris le temps. Pris le temps de s’asseoir à terre  devant lui, gardant le silence de longues minutes, puis Maman a parlé …
- Non, les adultes ne détiennent pas forcément la vérité. Et puis, ils ont perdu l’habitude de s’écouter, croyant que le progrès, c’est toujours plus. Plus de consommation, plus d’objets  dans la maison, c’est un cercle sans fin. Un cercle dont la planète souffre intensément. L’avenir appartient aux enfants d’aujourd’hui ; il sera ce que vous le ferez …

Papa a renchéri :
- Tout comme nous, toi, et tous les enfants avec toi, nous avons tous été frappés de plein fouet par la propagation effrénée de ce virus  responsable de milliers de décès et s’accompagnant de chômage et misère frappant en premier lieu les plus démunis. Et pour revenir à nous, Maman et toi, j’aurais envie de vous dire quelque chose que j’ai lu ce matin. Est-ce que je peux ?

L’enfant lève enfin  la tête   en signe d’acquiescement …
- La peur n'évite pas le danger, le courage non plus. Mais la peur rend faible, et le courage rend fort, ajoute le père.  Et tu feras tienne cette affirmation de Paulo Coelho :  Ne te décourage pas, c'est souvent la dernière clé du trousseau qui ouvre la porte.

Dans un large sourire, l’enfant sort de son dessin  et dit :
- Quand je serai grand, je  me ferai chercheur dans la recherche scientifique …