A. Distributeur de graines d'espoir

- Ça fait un moment que je n’ai pas vu Alphonsine. Quelqu’un a des nouvelles ?
Silence gêné de la tablée.
Qu’est-ce que j’ai encore bien pu dire qu’il ne fallait pas ? En ce moment il suffit que j’ouvre ma gueule pour que les catastrophes surgissent. Manifestement personne n’est décidé à me répondre.
Comme si demander des nouvelles de la labrador de la voisine était un crime de lèse-majesté. En plus elle est sacrément mignonne l’Alphonsine. Sa vue suffit à générer en moi toute une flopée d’émotions positives. J’ai hâte que ses chaleurs se pointent…
Mais manifestement parler de mes aspirations amoureuses n’est pas au programme du jour. Paraît que je serais trop vieux. Et puis ce soir la discussion est, comme d’habitude, centrée sur la chasse. Et vas-y que je me vante d’avoir levé le plus beau des perdreaux ! Et vas-y que je surenchéris en racontant la fois où ...
Pffh…. Me saoulent tous ces vieux clébards… Je vais les laisser à leurs gamelles pourries et je vais aller faire un tour dans le nouveau quartier qui a poussé comme un champignon ces derniers mois.
La nuit tombe, c’est parfait, je pourrai me faufiler partout sans être vu.
Ça sent bon par ici… Voyons voir…. Qu’est-ce qu’il y a dans cette poubelle ?
Miaouuuuuu ! Grrrrrr !
-Eh, mais ça va pas bien d’envoyer les griffes comme ça à l’aveuglette ! L’est dingo ce chat ! En plus il a failli m’assommer avec le couvercle en métal de la poubelle.
Atchoum !
Et merde ! Du ciment frais… avec mes allergies je vais encore ressembler à un lapin atteint de myxomatose et le grand patron va râler parce qu’il devra m’emmener chez le véto. J’aime bien aller chez le véto, moi… Quand j’ai dit ça aux vieux clébards le mois dernier ils m’ont regardé comme si j’étais bon à piquer. Pourtant tout renaît chez le véto. Tu arrives avec des yeux de lapin myxomateux, tu repars avec les yeux d’un jeune chiot fringant. Tu te pointes avec une patte en vrac, il te rend à ton maître plein d’espoirs : dans les jours qui suivent, il peut assurer que tu courras comme un lapin qui aime la vie et les carottes fraîches.
Tiens, c’est quoi cette devanture couverte de graffitis ? Elle détonne dans ce quartier flambant neuf et totalement moderniste. « Nous réparons les coeurs brisés », wouah ! Tout un programme….
Qu’est-ce qui se passe si je pousse la porte du museau ? Oh chouette, c’est ouvert.
Allez, je rentre ! Ça fait longtemps que je ne me suis pas lancé dans une petite exploration urbaine. J’accompagnais le maître quand il sortait faire, comment il disait déjà ?, ah oui, « faire de l’urbex ». J’aimais bien… Mais ça, c’était avant. Maintenant le maître, il ne sort plus guère de son lit… Au début je restais avec lui, je me couchais contre son flanc, il me grattouillait derrière les oreilles. J’aimais bien, et lui aussi il appréciait. Et puis les hommes en blanc sont arrivés et ils m’ont chassé de la chambre. Je pouvais au moins rester sur le seuil pour surveiller qu’ils ne faisaient pas de mal au maître.
Puis un jour les hommes en noir sont arrivés et eux, ils m’ont carrément chassé de la maison.
Depuis j’erre dans la ville quasiment toute la journée… Le fils du maître, il ne m’aime pas trop.
Tiens, une vieille couverture… Je vais me poser deux minutes, j’ai fait une sacrée trotte mine de rien.
Deux minutes et je repars hein…

- Ne vous inquiétez pas monsieur, il ne souffrira pas. Il va s’endormir et ne se réveillera pas. Voyez, il dort déjà.
- Oui, docteur, je vois. Il doit rêver, mon père disait qu’il agitait toujours la patte avant droite de cette façon quand il faisait un beau rêve…. Vous savez, je n’ai pas le choix, je n’ai pas la place dans mon studio pour un chien de cette taille, et puis il a de plus en plus de mal à se déplacer et….
- Je sais, monsieur, je sais… Voilà, c’est fini. C’était la dernière piqûre...

Très originale ta façon d'aborder cette consigne!
Ton texte est plein de trouvailles. On est d'abord un peu perdu et puis la description des " personnages " nous enchante!
La fin un peu triste est bien amenée.
Bravo à toi!

Après le marathon, quel plaisir de te revoir sur une consigne.
Que tu as d’ailleurs traitée de façon très originale. J’attendais la boutique, mais tout y est, toujours très bien écrit .
Et une chute à laquelle on ne s’attend pas du tout mais totalement en adéquation avec le reste du texte.

Le début surprend. Ton texte est à la fois très drôle dans sa première partie et puis peu à peu arrive la tristesse et surtout ce sentiment d'injustice pour ce chien que l'on préfère éliminer plutôt qu'aimer. Au moins on peut se dire qu'il est parti heureux.

Je suis restée mal à l'aise après la lecture de ton texte, forcement, il m'a rappelé de vieux souvenirs.
Tu as traité le thème avec originalité et, puisque ce toutou quitte la vie en faisant un joli rêve, ça va...

Ton texte est très original et donne une autre dimension à la consigne de cette semaine.

Un grand pour nous avoir fait partager ce joli moment, même si la fin est triste pour ce chien dont on ne veut plus.

Superbe texte!!!

Merci à tous.