A; Graines d'espoir

A: Graines d'espoir.


Enfant, j'adorais me promener dans le village de ma mamie. C'était un petit village, mais suffisamment grand quand même pour que je m'y perde une journée entière. Il possédait une église de plusieurs siècles dominant une place ceinturée d'arbres, une longue rue piétonne d'échoppes diverses, d'autres encore dissimulées dans les rues adjacentes et un vieux moulin enjambant la rivière traversant le village d'est en ouest. Ici, tout le monde se connaissait et tout le monde connaissait le petit-fils de Maria-Louisa.

J'étais un petit garçon de douze ans et ma mamie une vieille dame que les années avaient fatigué. Elle portait la gentillesse sur son visage et lorsqu'elle souriait, des papillons virevoltaient dans ses yeux comme dans un champs en fleurs en plein été. Mais la fatigue de la maladie rendaient ces moments de plus en plus rares depuis plusieurs semaines maintenant. Ma mamie perdait de plus en plus la mémoire. Parfois, même, il lui arrivait de me confondre avec mon père. Et ce matin, avant que je sorte de la maison, elle m'avait confondu avec mon cousin. Elle n'avait plus le même sourire, son si beau sourire, et plus les papillons dans ses yeux qui me rendaient si heureux. Et lorsqu'elle ne souriait plus, je n'avais plus envi de sourire moi aussi.

J'avais donc décidé de sortir prendre l'air, marcher un peu dans les rues et peut-être même acheter du raisin, que ma mamie aimait tant. Mais il était tôt et l'épicerie d'à côté, comme la plupart des boutiques, n'avaient pas encore ouverts. Je décidais donc de marcher sans but précis en attendant qu'elles ouvrent leur portes ou leur rideau. Je n'aimais pas voir ma mamie comme ça alors il fallait que je trouve quelque chose qui lui fasse plaisir, qui lui rende son sourire, qui lui rende un peu de vie. Et le raisin était déjà une bonne idée.

L'air frais du matin me fit du bien, autant aux poumons qu'à la tête car pour un garçon de mon âge, j'avais l'esprit embrumé, préoccupé, attristé par l'état de ma mamie. Marchant sans m'en rendre compte et après avoir quitté la rue piétonne, noyé dans mes pensées, je parvins devant la devanture d'une boutique que je ne connaissais pas, que je n'avais ni vu ni remarqué dans le village malgré mes aventures dans ses rues. Il en allait de même pour la ruelle dans laquelle elle se trouvait. Il me semblait ne jamais l'avoir ni emprunter, ni la connaître.

La façade de la boutique était en bois et sur chaque partie étaient notées des inscriptions, qui me firent sourire en les lisant tant certaines étaient incongrues ou rigolotes. Toutes me réchauffèrent le cœur et aiguayèrent ma curiosité. Que pouvait donc proposer cette boutique si originale? Qu'y avait-il donc à l'intérieur? Et quelle personne avait eu l'idée d'ouvrir un tel lieu si hors du commun? Ne l'ayant jamais vu, j'étais curieux de savoir ce que je pouvais trouver à l'intérieur et de qui j'allais rencontrer.

Écartant tout de même la pointe d'hésitation qui faisait trembler mes pas, ma main se posa sur la poignée de la porte d'entrée. Sans même me demander si la boutique était ouverte, je l'ouvris sans résistance et passa la tête afin de juger si je pouvais y entrer. L'intérieur était éclairé et la vue d'ensemble m'offrit une vaste pièce aux murs parcourus de bibliothèques et d'étagères en tout genre. face à moi, ce qui ressemblait à une allée menait tout droit à un large comptoir. Mais personne n'y tenait place.

- Bonjour, annonçais-je comme m'avait-on appris par politesse. Y-a quelqu'un? Est-ce que s'est ouvert?
- Bonjour mon garçon, répondit une voix de vieux monsieur. Oui c'est ouvert. Tu peux entrer. Je suis derrière, j'arrive de suite.
Alors j'entrais en refermant la porte derrière moi. Il y avait tout autour de moi tout un amoncellement d'ouvrages et d'objets en tout genre. Il y avait des piles de livres un peu partout, parfois s'élevant jusqu'au plafond. Sur les étagères et autres commodes, il y avait des fioles, des bouteilles et bien d'autres objets difficiles à identifier. Il y avait également des coffres, pour la plupart fermés, ici et là et sur le passage qui menait jusqu'au comptoir. Marchant lentement vers lui, j'aperçu quelques boites de jeux de société, enfin me sembla-t-il.

- Que puis-je faire pour toi? Résonna la voix grave mais douce du propriétaire, qui apparu de l'obscurité.
Il avait sous son chapeau de paille un visage jovial. Des cheveux bouclés et blanc cascadaient jusqu'à ses épaules et une barbe toute aussi touffue que blanche lui dissimulait presque entièrement la bouche. Autour d'elle, je remarquais quelques miettes emprisonnées. De gâteau, assurément, puisqu'il tenait dans ses mains une assiette dans laquelle il y en avait plusieurs parts. Voyant que je les regardais, il m'en proposa une mais j'hésitais quand même à l'accepter.
- Alors mon garçon, que recherches-tu?
- Je ne sais pas. Je n'ai jamais vu votre boutique auparavant. Et il y a tellement de choses ici.
- Tu es le petit-fils de Maria-Louisa, n'est-ce-pas?
- Oui, répondis-je surpris de la question. Vous la connaissez?
- En effet, mais cela fait longtemps que... Comment va-t-elle?
- Elle est malade, avouais-je en repensant à elle.
- Oui, j'ai appris ça. Est-ce pour cela que tu es ici?
- Je ne sais pas. Je suis sorti acheter du raisin pour lui faire plaisir. Mais là, je ne sais plus trop.
- Hum... Veux tu une part de gâteau? C'est moi qui l'ai fait. Un gâteau au yaourt. Le seul que je sache faire. Il aide à éclaircir les idées et à nettoyer le cœur de toute tristesse.  
Amusé par ce qu'il venait de dire, j'acceptais volontiers une part en le remerciant. Il était très bon et je pris mon temps pour le manger. Lui aussi se reprit une part. Après qu'il est eu fini la sienne, il me regarda droit dans les yeux et annonça fièrement :
- Je crois que j'ai ce qu'il te faut! Dingo! Dingo!
Je cru tout d'abord qu'il avait perdu la tête mais en fait, il appelait bel et bien quelqu'un. Alors que je m'attendais à voir apparaître une autre personne, c'est un chat, le poil hirsute, de couleur fauve et avec une petite clochette à son collier orange, que je vis monter prestement sur le comptoir.
- Dingo, continua-t-il, s'il te plait, va me chercher la boite verte où est marqué "graines d'espoir" pour notre jeune ami.
Et le chat, répondant d'un miaulement respectueux, partit chercher ce qui lui avait été demandé pour revenir presque aussitôt, tenant entre ses dents une toutes petites boites aux milles nuances de verts. Le vieux monsieur la lui prit en le remerciant et me la présenta.
- Cela devrait faire l'affaire. Tiens, elle est pour toi et pour Maria Louisa.
- Vous êtes sûre? dis-je alors. Mais qu'est-ce-que je vais en faire? Elle est toute petite et je ne sais même pas à quoi elle sert. Et en plus je n'ai pas assez d'argent pour vous payer.
- Pas besoin d'argent. Elle est offerte. Mais il faut que tu me promettes de l'ouvrir uniquement lorsque tu seras avec ta grand mère.
Je le lui promis, même si je trouvais ça un peu bizarre.
- Allez mon garçon, va la lui apporter. Ouvre la boite devant elle et je te promets que ça va vous rendre heureux tous les deux! Allez, dépêches-toi!
Je m'exécutais donc, et une fois passer la porte de la boutique, je courrais jusqu'à la maison. J'entrais en trombe et arrivé devant la porte de la chambre de ma mamie, je repris mon souffle. Puis j'entrai, la petite boite verte dans le creux des mains.

Ma mamie était à demi couchée dans son lit, draps et couverture encore sur ses jambes. Elle me vit entrer mais à son regard, je ne suis pas sûr qu'elle me reconnu. Un pâle sourire, fatigué, se dessinait timidement sur son visage. Elle me fit signe de la main d'approcher, ce que je fis.
- Mamie, j'ai quelque chose pour toi, dis-je alors en lui montrant la boite. Je voulais t'acheter du raisin, mais tout était fermé...
Et c'est là que je vis des étincelles naitre dans ses yeux. Elle observait la boite comme si s'était un trésor retrouvé. Je m'approchais donc un peu plus d'elle, puis je l'ouvrit, comme me l'avait demandé le vieux monsieur de la boutique. À peine le capot ouvert, des centaines, des milliers de papillons s'échappèrent pour s'envoler dans toute la pièce. Il y en avait partout et de toutes les couleurs. Ils virevoltaient dans tous les sens. Il y en avait tellement que je ne parvenais pas à en suivre un du regard sans que mon attention soit prise par une autre. Ils étaient tous plus magnifiques les uns que les autres. Mais les plus beaux, les plus merveilleux étaient ceux que je voyais virevolter dans les yeux de ma mamie. Elle avait de nouveau le regard pétillant, le visage apaisé et le sourire enchanteur. Elle souriait à nouveau de ce sourire que j'aimais tant et qui me rendait si heureux. Oui elle souriait et je l'entendis même rire, chose qui n'était pas arrivé depuis longtemps.
Et ce jour là, nous passâmes à nouveau une journée merveilleuse.

À présent, bien des années ont passé. Je suis un vieux grand-père qui se raccroche à ses beaux souvenirs, dans la maison de sa mamie, qui est devenue la maison familiale. Mes os maintenant fragiles apprécient la chaise à bascule que mes enfants m'ont offert il y a quelques temps. Ma mémoire ne me fait pas défaut, mais mes muscles ont plus en plus de mal à se dégourdir tout seuls. Heureusement, j'ai cet été mes enfants et ma petite fille, que j'entends dévaler devant la maison telle une trombe impatiente. Et c'est quand je l'entends entrer, puis apparaître dans le salon, souriante, trépignante, que j'aperçois ce qu'elle teins avec précaution dans le creux de ses mains.

Une petite boite, une toute petite boite aux milles nuances de vert où il est inscrit: "Graines d'espoir".