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A : Graines d’espoir. (version 3)

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Message  Xavier Eblo Sam 14 Aoû 2021 - 13:11



« Ma mamie habitait un petit village du centre de la France, un hameau chargé d’histoire, de légendes et à l’atmosphère paisible en toutes saisons. Enfant, lors des vacances, je m’y perdais des journées entières, ne m’apercevant guère des minutes, des heures que je passais dehors, qu’il pleuve ou qu’il vente. Je partais à l’aventure dans ses ruelles, explorant sa campagne en quête de cachettes, de trésors et de rencontres extraordinaires. J’aimais la silhouette de sa vieille église, la sérénité de la place lui faisant face et la magie de son moulin enjambant la rivière, pourtant à l’arrêt depuis des années.

Ma mamie était une vieille dame que les années avaient fatiguée, que la guerre n’avait pas épargné. Elle n’avait plus toute sa tête mais je me souviens de la gentillesse sur ses traits, des papillons virevoltant dans ses yeux comme dans un champ en plein été quand elle souriait. Et lorsqu’elle riait, c’était comme si toutes les étoiles se mettaient à briller et à chanter en même temps. Mais c’était avant. Avant que la maladie apparaisse. Avant que les papillons dans son regard se fassent discrets. Avant que ses rires se tarissent et deviennent rares. Avant que sa mémoire ne lui fasse défaut un peu plus chaque jour que le ciel lui accordait.

Ma mamie n’avait plus le même sourire, son si beau sourire, et plus aucun papillon dans les yeux qui me rendaient si heureux. Lorsqu’elle ne souriait pas, ce qui lui arrivait de plus en plus souvent, je n’avais plus envie de sourire, je n’avais plus envie de rester, même si je continuais à l’aimer.

Je n’étais qu’un garçon de douze ans mais je n’étais pas aveugle à tout cela, à son état qui ne faisait qu’empirer. Le cœur déchiré, je ne pouvais qu’assister impuissant à l’envol de son esprit, à la force de ses pensées désordonnées. Souvent, il lui arrivait de me confondre avec mon père, comprenant sans difficulté qu’elle le voyait alors au même âge. Elle perdait un peu plus la mémoire comme on perd le fil d’une histoire et ce matin-là, avant que je sorte de la maison, elle m’avait confondu avec mon cousin. Et ce matin-là, après cela, il avait fallu que je prenne l’air, que je m’aère, que je laisse courir les larmes sur mon visage que je me forçais à garder pourtant de marbre.

Il était tôt et les ruelles du village étaient désertes, le ciel peinant à s’éclaircir totalement. L’épicerie d’à côté n’ouvrirait pas avant quelques heures. Acheter du raisin, fruit qu’elle aimait tant, m’était donc impossible pour le moment. Satisfaire ce plaisir simple attendrait. Marcher, courir sans but précis dans les ruelles proches de la maison m’évitèrent de patienter jusqu’à l’ouverture. L’air frais m’allégea l’esprit, regonfla les poumons, rendit mes pas plus sûrs.

Je pensais connaître chacune des rues par cœur, jusqu’au plus petit détail de chaque bâtisse et de leur jardin, lorsqu’elles en avaient un. Mais ce matin-là, je découvris la devanture d’une boutique que je n’avais jamais remarquée. Je restais même persuadé ne l’avoir jamais vu, ce qui m’étonnait plus qu’un peu. La façade tout de bois offrait au regard nombre d’inscriptions incongrues et amusantes. Toutes me firent sourire, me réchauffèrent le cœur, égaillèrent ma curiosité. Leur vue me fit oublier mon début de matinée, pénible et douloureux. Elles m’invitaient à entrer, me donnaient l’envie de passer la porte bien que peut-être fermée.

Hésitante quoi que curieuse, ma main se posa sur la poignée de la porte. Je l’ouvris sans résistance et passa la tête à l’intérieur, restant tout de même un peu méfiant. Un léger éclairage, doux et tamisé, me fit découvrir une vaste pièce à l’agencement anarchique. Ici et là, bibliothèques et étagères meublaient l’espace où livres et objets divers s’entassaient sans aucune logique. Des colonnes d’ouvrages s’élevaient telles des monolithes en équilibre caressant presque le plafond, allant de l’entrée jusqu’au comptoir que je voyais à plusieurs mètres loin devant moi. Il n’y avait personne. Comme le propriétaire que je n’apercevais guère.

Passant un peu plus l’entrée, je m’annonçais comme on m’avait appris à le faire par politesse. Mon bonjour timide de petit garçon résonna dans toute la pièce. Surpris, la puissance de cette voix, pourtant la mienne, me fit frissonner jusqu’à ce qu’elle s’estompe de ces murs de cathédrale, qui n’en étaient pas. Et je fus à l’intérieur sans avoir conscience de mes pas, la porte se refermant derrière moi tel un voile de brume me précédant.

Aux quatre coins de la pièce, plusieurs bougies crépitèrent. J’aurai juré qu’à mon arrivée celles-ci sur leur candélabre étaient éteintes. De la magie ? À peine ais-je eu le temps de me poser la question qu’une voix de baryton, mais cependant calme et douce, résonna de derrière le comptoir et au-delà des ombres du fond.
Bonjour mon garçon, que puis-je faire pour toi ?
Et un vieux monsieur apparu comme par enchantement, traversant l’obscurité d’une mine souriante et amusée, à la démarche tranquille mais assurée.

Sous son chapeau de paille à large bord, des cheveux blancs et bouclés cascadaient jusqu’à ses épaules. Une barbe toute aussi touffue que blanche lui dissimulait tout le bas du visage ainsi que la bouche, que je devinais charnue. Je remarquais autour de celle-ci quelques miettes emprisonnées. De gâteau, assurément, puisqu’il tenait dans ses mains une assiette dans laquelle se disputaient plusieurs parts. Il me proposa d’y gouter mais poliment, je refusais. Prenant alors conscience que je n’avais pas répondu à sa question, je lui avouais que la curiosité avait guidé mes pas, étant certain de n’avoir jamais vu sa boutique.

- C’est que tu n’as jamais dû bien observé, me répondit-il de son air toujours amusé. Mon établissement existe depuis bien des années. D’ailleurs, il fut un temps où ta mamie en était une grande habituée. Mais cela fait si longtemps...
- Ma mamie connaît cet endroit ? Demandais-je sans dissimuler ma surprise.
- Bien sur. Tu es bien le petit-fils de Maria-Louisa, n’est-ce-pas ?
Je répondis timidement par l’affirmative ne sachant que penser.
- Ma mamie est malade, ajoutais-je l’esprit confus et s’en savoir que dire d’autre.
- Oui, j’ai appris ça et j’en suis désolé. Maria-Louisa, ta mamie, a toujours été une femme très gentille.
Je pense qu’en cet instant il s’aperçu de la tristesse qui voilait mes yeux. Il me proposa de nouveau une part de gâteau.
- C’est moi qui l’ai fait, prit-il la peine d’ajouter non sans une pointe de fierté. Un gâteau au yaourt. Le seul que je sache faire d’ailleurs. Il aide à éclaircir les idées et à nettoyer le cœur de toute tristesse.
Amusé par sa tirade, j’en acceptais une finalement et le remercia. Lui aussi en reprit. Il était très bon et je pris mon temps pour le savourer. Même après toutes ses années, je me souviens de cette sensation de légèreté qui s’empara de moi après l’avoir fini. Et je garde encore de cet instant comme si une once de magie m’avait caressé autant le cœur que l’esprit.

Ces quelques secondes me parurent durer une éternité, jusqu’à ce qu’il me fasse sursauter, alors à mille lieux d’ici.
- Je crois que j’ai ce qu’il te faut ! s’écria t-il soudain. Dingo ! Dingo !
Je cru tout d’abord qu’il avait perdu la tête, mais il appelait bien quelqu’un. Qui donc pouvait s’appeler ainsi ? « Dingo, ce n’est pas un nom, ça ! » me souviens m’être fait la réflexion. Alors que je m’attendais à voir apparaître un employer, c’est un chat de couleur fauve, portant autour du cou une petite clochette, elle-même maintenue par un collier orange et que je vis sauter prestement sur le comptoir.
- Dingo, s’il te plait, continua t-il, va me chercher la petite boite verte où est marqué «Graines d’espoir » pour notre jeune ami.
Répondant d’un miaulement respectueux, le chat partit chercher ce qui lui avait été demandé. Il revint presque aussitôt, tenant entre ses dents une toute petite boite aux milles nuances de vert. Il la déposa devant lui et s’allongea de tout son long sur le comptoir. Le vieux monsieur le remercia de quelques caresses et Dingo ronronna, le regard rempli d’amour et de gratitude.

La petite boite était belle. Trop belle, même. Elle devait couter beaucoup d’argent. Il me la présenta aussitôt. Je refusais, toujours poliment, car je destinais le peu de monnaie en ma possession à l’achat du raisin. Il insista, je déclinais à nouveau et persista encore jusqu’à m’assurer qu’il nous l’offrait, à ma grand-mère et moi. Contraint d’accepter, il insista pour que je l’ouvre une fois revenu près d’elle. Je ne percevais aucune mauvaise intention, bien au contraire. Je lui promis donc, ne sachant tout de même pas à quoi m’attendre. Puis, sans aucun préambule, il m’invita à la rejoindre, ce que je fis comme si apporter cette boite relevait d’une mission de la plus haute importance.

A l’extérieur, le jour s’était levé mais aucune personne ne croisa mon chemin. Je revins chez ma mamie à bout de souffle tant j’avais couru tel un diable. Reprenant un semblant de respiration normale, j’ouvris la porte de sa chambre en faisant attention de ne pas la réveiller si toutefois elle se reposait. Ce n’était pas le cas. Ma mamie était à demi couchée dans ses draps, sa couverture encore dépliée le long des jambes. A son regard, je ne suis pas sûr qu’elle me reconnu de suite. Puis un pâle sourire se dessina timidement sur son visage. D’une main faible, elle me fit signe d’approcher, ce que je fis en douceur.

-  Mamie, j’ai quelque chose pour toi, dis-je alors en lui présentant la boite que je tenais au creux des mains. Je suis sorti t’acheter du raisin mais l’épicerie était fermée...
Et c’est à cet instant que je vis son regard changer. Des étincelles naissantes dans les yeux, elle observa la boite tel un trésor alors retrouvé. Je m’approchais un peu plus encore de sorte à me tenir tout près d’elle. Comme me l’avait demandé le vieux monsieur de la boutique, j’ouvris la boite, mais avec beaucoup de précaution et à peine le couvercle ouvert, des centaines, des milliers de papillons s’en échappèrent pour s’envoler dans toute la chambre. En quelques secondes, tout l’espace de la pièce fut envahi de leur danse aux milles couleurs. Ils virevoltaient dans tous les sens si bien que je ne parvenais pas à en suivre un sans que mon attention soit attirée par un autre. De leur danse frénétique aux couleurs de leurs ailes, chacun d’eux offrait un spectacle magnifique, d’une beauté que je n’aurais jamais cru possible. Mais un spectacle plus beau encore apparu à mes yeux : celui du regard pétillant, étincelant, d’un bonheur poignant qui brillait à nouveau dans le regard de ma mamie et les mêmes papillons qu’autrefois y dansaient. Elle souriait à nouveau de ce sourire que j’aimais tant et qui me rendait si heureux. Oui elle souriait et je l’entendis même rire, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps.
Et ce jour là, nous passâmes à nouveau une journée merveilleuse.

À présent, bien des années ont passé. Je suis un vieux grand-père qui s’accroche à ses lointains souvenirs, dans la maison de sa mamie, qui est devenue la demeure familiale. Mes os maintenant fragiles apprécient la chaise à bascule que mes enfants m’ont offerte il y a quelques temps. Ma mémoire ne me fait pas défaut mais mes muscles ont de plus en plus de mal à obéir à mes désirs. Heureusement, j’ai cet été en vacances mes enfants et ma petite fille que j’entends dévaler devant la maison telle une trombe impatiente. Et c’est lorsque je la vois apparaître dans le salon, souriante et trépignant, que j’aperçois ce qu’elle tient dans le creux de ses mains avec précaution: une toute petite boite aux milles nuances de vert où je devine l’inscription « Graines d’espoir ».

Et à peine ai-je le temps d’apercevoir sur le rebord de ma fenêtre, à l’extérieur, un chat de couleur fauve avec autour du cou un collier orange et sa clochette. Peut-être suis-je un peu fou ? Peut-être pas ou bien plus que ne l’est vraiment un fou ? Mais je jugerais qu’il m’observe et me sourit, immobile, impassible... avant que sa silhouette ne disparaisse derrière la symphonie d’une centaine, d’un millier même, de papillons qui s’échappent et dansent à présent pour moi et ma petite fille dans mon salon. »























Xavier Eblo

Masculin Humeur : besoin de calme et de grand air

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