A. Ma fin du monde
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madeleinedeproust
Zephyrine
Myrte
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A. Ma fin du monde
Je suis réveillé dans la nuit par un terrible fracas comme un violent coup de tonnerre qui secoue mon corps et le plafond s’écroule sur moi. L’obscurité est totale, j’entends du verre brisé puis la voix étouffée de mon grand frère Amine qui crie mon nom. J’appelle maman, elle ne répond pas. Je sors de mon lit en rampant parmi les meubles renversés et les débris mais il fait si noir, je ne trouve pas la porte de ma chambre. J’entends des cris, des gémissements. Je respire de la poussière. Mes doigts heurtent le bord tranchant de briques cassées. J’essaye de me diriger vers la voix d’Amine en me cognant aux meubles renversés. Soudain sa main saisie la mienne, je la serre très fort. Amine m’entraîne vers une pâle lueur, un passage. Des morceaux de plâtre nous tombent sur la tête et nous sommes dehors.
Des gens sont autour d’un feu, le visage plein d’effroi, les yeux levés vers le ciel, certains prient.
Je vois des corps allongés sur le talus.
Un voisin nous serre dans ses bras. Il pleure, il dit qu’il était à la mosquée avec notre père. Quand ils sont sortis, le minaret s’est écroulé et a écrasé notre père. Il pleure encore.
Le minaret a écrasé mon père.
Je veux maman. Je tourne la tête vers notre maison à moitié effondrée mais le voisin me retient : n’y va pas, c’est dangereux. Je vois ses lèvres bouger et j’entends comme un vrombissement dans mon crâne.
Le minaret a écrasé mon père. Où est maman ?
Le jour se lève doucement. J’ai la bouche sèche et une douleur dans la poitrine.
Des soldats nous prennent en charge. Ils nous emmènent dans un camp de fortune, nous donnent à boire et du pain. J’ai mal à la hanche, je marche en boitant. Avec Amine, nous attendons toute la journée. Nous dormons sous une tente avec d’autres gens.
Le roi du Maroc est passé. Il avait une djellaba blanche et des lunettes noires. Il a caressé mes cheveux.
Mon oncle Hamza est venu nous chercher dans son auto. Nous laissons derrière nous la ville anéantie.
Après quelques jours chez mon oncle dans la montagne avec nos cousins, la famille est convoquée sur les ruines de notre maison. Un bulldozer enlève les gravats. Toute la ville est détruite comme après une guerre. Les soldats sont partout.
Ils nous disent qu’ils ont retrouvé le corps de ma mère sous les décombres et ils nous remettent ses bracelets en or.
Ma mère était sous la maison.
Le minaret a écrasé mon père.
Mon oncle m’a présenté Françoise, une assistante sociale. Elle est très douce. Elle m’accompagne en autocar jusqu’à Taroudant dans un orphelinat tenu par des soeurs françaises. Tout le monde est très gentil avec moi.
Je m’appelle Youssef, j’ai huit ans. Le 29 février 1960, le tremblement de terre d’Agadir a changé ma vie.
J’ai écrit ce texte il y a une dizaine d’années dans un atelier d’écriture. Le thème : raconter notre fin du monde, notre apocalypse. J’ai tout de suite pensé à ce tremblement de terre qui a entièrement détruit Agadir. J’étais petite fille à Marrakech. Le tremblement y a été ressenti légèrement. Moi je dormais, mais mes parents ont été réveillés par des voisins qui l’avaient ressenti. Profondément choqués par les photos dans le journal et les témoignages, nous avons envoyé des colis de vêtements et de nourriture aux familles qui avaient tout perdu.
J’avais écrit ce texte d’après le témoignage d’un enfant rescapé. Je l’ai réécrit aujourd’hui.
Des gens sont autour d’un feu, le visage plein d’effroi, les yeux levés vers le ciel, certains prient.
Je vois des corps allongés sur le talus.
Un voisin nous serre dans ses bras. Il pleure, il dit qu’il était à la mosquée avec notre père. Quand ils sont sortis, le minaret s’est écroulé et a écrasé notre père. Il pleure encore.
Le minaret a écrasé mon père.
Je veux maman. Je tourne la tête vers notre maison à moitié effondrée mais le voisin me retient : n’y va pas, c’est dangereux. Je vois ses lèvres bouger et j’entends comme un vrombissement dans mon crâne.
Le minaret a écrasé mon père. Où est maman ?
Le jour se lève doucement. J’ai la bouche sèche et une douleur dans la poitrine.
Des soldats nous prennent en charge. Ils nous emmènent dans un camp de fortune, nous donnent à boire et du pain. J’ai mal à la hanche, je marche en boitant. Avec Amine, nous attendons toute la journée. Nous dormons sous une tente avec d’autres gens.
Le roi du Maroc est passé. Il avait une djellaba blanche et des lunettes noires. Il a caressé mes cheveux.
Mon oncle Hamza est venu nous chercher dans son auto. Nous laissons derrière nous la ville anéantie.
Après quelques jours chez mon oncle dans la montagne avec nos cousins, la famille est convoquée sur les ruines de notre maison. Un bulldozer enlève les gravats. Toute la ville est détruite comme après une guerre. Les soldats sont partout.
Ils nous disent qu’ils ont retrouvé le corps de ma mère sous les décombres et ils nous remettent ses bracelets en or.
Ma mère était sous la maison.
Le minaret a écrasé mon père.
Mon oncle m’a présenté Françoise, une assistante sociale. Elle est très douce. Elle m’accompagne en autocar jusqu’à Taroudant dans un orphelinat tenu par des soeurs françaises. Tout le monde est très gentil avec moi.
Je m’appelle Youssef, j’ai huit ans. Le 29 février 1960, le tremblement de terre d’Agadir a changé ma vie.
J’ai écrit ce texte il y a une dizaine d’années dans un atelier d’écriture. Le thème : raconter notre fin du monde, notre apocalypse. J’ai tout de suite pensé à ce tremblement de terre qui a entièrement détruit Agadir. J’étais petite fille à Marrakech. Le tremblement y a été ressenti légèrement. Moi je dormais, mais mes parents ont été réveillés par des voisins qui l’avaient ressenti. Profondément choqués par les photos dans le journal et les témoignages, nous avons envoyé des colis de vêtements et de nourriture aux familles qui avaient tout perdu.
J’avais écrit ce texte d’après le témoignage d’un enfant rescapé. Je l’ai réécrit aujourd’hui.
Myrte- Humeur : Curieuse
Re: A. Ma fin du monde
Magnifique récit à la fois sobre et très réaliste!
On tremble avec ce petit garçon qui vit l'horreur! Tu t'es mise à sa place en raisonnant comme un enfant qui voit tellement d'abominations mais qui retient les détails de la visite du roi qui lui caresse les cheveux...
J'ai beaucoup aimé!
On tremble avec ce petit garçon qui vit l'horreur! Tu t'es mise à sa place en raisonnant comme un enfant qui voit tellement d'abominations mais qui retient les détails de la visite du roi qui lui caresse les cheveux...
J'ai beaucoup aimé!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A. Ma fin du monde
Du vécu "indirectement" mais tu le racontes vraiment comme si tu y étais.
Tu as su trouvé les mots pour décrire cette horreur, un moment j'ai cru à un attentat, tel que j'en ai lu dans les livres des rescapés de "Charlie"
On parle trop peu des enfants, de ces petits bouts qui voient brutalement leurs proches mourir et ne comprennent pas le pourquoi !
Tu as su trouvé les mots pour décrire cette horreur, un moment j'ai cru à un attentat, tel que j'en ai lu dans les livres des rescapés de "Charlie"
On parle trop peu des enfants, de ces petits bouts qui voient brutalement leurs proches mourir et ne comprennent pas le pourquoi !
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re A / Ma fin du monde
C' est un témoignage touchant d'un petit garçon qui a vécu un drame en perdant ses parents mais qui semble bien l'accepter .Bravo!
automne- Humeur : égale
Re: A. Ma fin du monde
Un très beau texte qui prend aux tripes. Tu nous entraînes dans ton récit et nous sommes bouleversés de vivre le drame de ces gamins. C'est très bien rendu et bien écrit.
Virgul- Humeur : Optimiste
Re: A. Ma fin du monde
Quel texte ! On le croirait sorti de la bouche de ce jeune enfant. C’est excellent
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Bonjour Invité, je suis heureuse de te compter parmi les Kaléïdoplumiens
Admi......ratrice de vos mots !!!!!.
Admin- Admin
- Humeur : Concentrée
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