A - Le dompteur de vent

Pour du vent, comme pour de rien ! Voilà une expression fausse qui ne manque pas d’air.
L’air et le vent ce n’est pas rien. Et savoir dompter l’air et le vent c’est un don.

Je me rappelle les jours en mer partagés avec mon ami Pierre.
Moi aux commandes, le voilier bullait paresseusement, ses voiles en faseyant l’affublaient d’une triste mine naufrage. Lorsque je lui rendais la barre, Pierre humait le vent, choquait d’un cran l’écoute du grand génois, rectifiait de quelques degrés le cap, et le bateau d’un bond retrouvait fière allure pour fendre gaiement les flots.
J’avais beau scruter la girouette éolienne en haut du mât qui nous renseignait sur la force et la direction de vent, cela ne m’aidait pas à mieux diriger le navire récalcitrant.

Pierre, lui, apprivoisait le vent, il l’invitait à gonfler les voiles, et comme un cavalier maîtrise la puissance de son cheval avec la bride, d’un coup de winch Pierre insufflait au voilier une énergie retrouvée qui le faisait presque décoller. En se cabrant au sommet des vagues, la proue du navire riait de nous éclabousser d’embruns lourds de fragrances de sel et d’iode.

Pareil dans les airs.
En vol à voile Pierre dirigeait ses ailes comme nul autre pour profiter des ascendances que le foehn alimentait le long des pentes abruptes des massifs montagneux, ou pour dénicher les « pompes » en dessous des nuages, pour reprendre de l’altitude. Sans autres aides que l’air et le vent Pierre pouvait ainsi piloter son planeur durant des heures entières. Bercé par le suintement du vent qui perçait l’habitacle, Pierre s’enivrait de flirter avec les rapaces et de jouer à déchiqueter de sa carlingue les lambeaux vaporeux des nuages bas qui se laissaient surprendre. De retour à terre, heureux mais exténué d’avoir tout donné, Pierre troquait alors involontairement son costume de fier dompteur de vent pour celui d’une chambre à air dégonflée.

"Le dompteur de vent" : j'aime beaucoup
Tu utilises les mots imposés dans un cadre pas encore vu sur cette consigne. Et bravo pour avoir réussi à caser "la chambre à air". Ce n'était pas évident !
On a l'impression que tu t'appuies sur du vécu pour ton texte. Pierre existe?

Un très joli récit qui nous emmène sur les flots en ta compagnie et celle de Pierre.
Vraiment très agréable à lire, Virgul.

Très belle symbiose avec le vent et un retour à terre qui rappelle un peu un certain poème avec un albatros.

Sherkane: oui Pierre existe et tout est du vécu, y compris cette allure (façon de parler) de chambre à air dégonflée qu'il pouvait prendre après s'être donné au maximum.

Virgul je te félicite c'est trop bien écrit et raconté. Moi qui n'y connait rien en navigation marine j'ai été emporté par les flots de tes mots.

Ce texte est très visuel dans sa manière d'être écrit : les images et les mots s'entrelacent avec aisance, je navigue avec les deux amis. La fin est vraiment une chute au sens de la nouvelle et "le dompteur de vent" une bien belle expression. Le tout sent le vécu. J'aime beaucoup.

Une réussite à tous points de vue : belle écriture, qui fait surgir les images comme si on y était. Le personnage de Pierre est attachant, même pour une simple chambre à air ! L'originalité dans ta manière de traiter la consigne est un plus.