A. Rêve enfui

Il faisait encore sombre lorsque je quittai la maison. J’avais mis la boite dans mon vieux sac en cuir que je n’avais pas réussi à fermer car elle était trop grande. Ce n’était pourtant qu’une boite à chaussures et je pensais à tort que mon sac serait assez grand. Isabelle m’avait dit de prendre la pelle dans la cabane au fond du jardin et de sortir par le portillon de derrière. Après le champ de luzerne, on pouvait rejoindre le chemin de la butte. Là-haut sur la butte, il serait bien. C’est ce qu’Isabelle avait dit.
Je me sentais vide et triste. La campagne se réveillait doucement et le chant joyeux des oiseaux qui s’égosillaient m’était cruel.
Au sommet de la colline, je choisis un endroit à l’abri d’un genévrier, enlevai ma veste et me mis à creuser. Le soleil se pointa à l’horizon, il était déjà chaud à cette heure matinale, je dus m’arrêter plusieurs fois pour enlever mon chapeau et éponger mon front.
Au bout d’une heure, j’avais réussi à creuser environ un mètre de profondeur. Je m’assis sur un rocher, la pelle à la main et regardais songeur ce trou béant. Jamais je n’aurais imaginé que ça se terminerait ainsi. Nous avions tellement espéré, attendu, Isabelle et moi. Et voila, notre rêve s’était écroulé brusquement dans la nuit.
Je déposai la boite au fond du trou et restai immobile, démuni, incapable du moindre mouvement.
Le mouchoir avec lequel je m’étais épongé le front essuyait maintenant mes larmes amères.
Il fallait que je sois fort, Isabelle allait en avoir besoin.
Je me remis au travail, prenant de grandes pelletés de terre dans le tas qui s’était accumulé et les lançant dans le trou. Au fur et à mesure que le tas diminuait le grand vide que je ressentais dans ma poitrine se comblait et devenait un poids lourd.
Il fallait que je sois fort.
Une fois le trou rebouché, j’aplatis la surface et déposai quelques pierres blanches, une sorte de kern.
Demain ou après-demain, avec Isabelle, nous viendrons y planter du pourpier sauvage qui fleurira en juin.