A. Passé enfui

Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. Est-ce la raison de  ce besoin d’écrire ?
Sinon la vie s’évapore, les souvenirs s’évanouissent, les instants disparaissent comme s’ils n’avaient jamais existé.

Vite écrire, écrire avant que les mots ne s’enfuient !

Tirer les épreuves sur la planche contact. Fixer les images sur le papier.

Le sol en terrazzo noir et blanc.
Le trou dans la moustiquaire que j’agrandis avec mon doigt.
Les troupeaux de moutons sur le chemin poussiéreux.
Le bougainvilliers, les orangers, les palmiers.
La chaleur accablante.
Les chansons d’Astrud Gilberto, la trompette de Sydney Bechet.
Les interminables après-midi d’ennui.`
La fourgonnette d’Hassan, l’école.
La buanderie, la petite cour où sèche le linge.
La balançoire sous la treille, les guêpes.
La niche de Doumi où je me blottis.
Le perron en pierre noire.
Le grand sapin de Noël à côté du poêle à mazout.
Le champ de fève
Les sorties au Guéliz, les voitures américaines, le cinéma.
Mon père qui rentre tard.
Ma mère qui pleure la nuit.

Tout est temporaire dans la vie… les sentiments, les émotions, toutes ces pensées bonnes ou mauvaises…

J’ai parfois le désir de retrouver ces souvenirs d’enfance évaporés pour refaire l’histoire.

M’arranger avec mes regrets.

Parler avec mon père. Consoler ma mère. Apprendre la musique.

Non, non, s’accommoder du passé. Accepter de ne pas en être maître.

Je crois, malgré les occasions ratées, à la multitudes des possibles.