A - Madame la Marquise et le Musée - 1ère partie

Dans le château familial de la famille Patin-Couffin, Monsieur le Marquis Amédée est aux quatre cents coups.

Il est déjà vingt-trois heures et son Esclarmonde d’épouse n’est toujours pas rentrée au domicile conjugal, ce qui ne lui est jamais arrivé en quarante ans de vie commune. Lorsqu’une de ses idées délirantes, qui lui passent régulièrement par la tête, la garde éloignée de lui, elle ne manque jamais de le prévenir.

Mais là, silence radio. Monsieur le Marquis se ronge donc les sangs. Que le-dit sang soit bleu ne change rien à l’affaire. Monsieur Amédée est un époux attaché à son extravagante épouse.

Il bat donc le rappel de ses troupes avec en tête, Gaston-Jeeves son majordome, l’épouse de celui-ci la replète Maryvonne et leur fils Eugène.

Monsieur Amédée tourne en rond. Gaston-Jeeves craint même qu’il n’en vienne à user complètement le tapis persan qui trône au milieu de son bureau. Maryvonne, quant à elle, propose d’apporter à Monsieur le Marquis un petit verre de son eau-de-vie spéciale pour l’aider à calmer ses nerfs.

Monsieur Amédée décline l’invitation et se lance dans un interrogatoire serré, digne d’un commissaire Bourrel. Qui a vu son épouse en dernier ? Où est-elle passée ? Son œil suspicieux fini par épingler Eugène, apprenti majordome qui vient de fêter ses 65 printemps. Celui-ci se tortille effectivement de manière très peu majordomesque.

Il l’interpelle de manière sèche « Eugène, quelque chose à dire ? »

Gaston-Jeeves en rajoute une couche de sa voix tremblotante « Mon fils, nous vous écoutons. »

Le malheureux Eugène se racle la gorge.

« Eh bien, Madame la Marquise est au Musée. »

Monsieur Amédée le regarde, sidéré.

« Comment ça au Musée, mais de quel Musée parlez-vous ? »

« Le Musée qui vient d’ouvrir ses portes en ville, Monsieur le Marquis. Madame m’a demandé de l’y conduire et de l’y laisser cet après-midi. Elle m’avait assuré qu’elle rentrerait par ses propres moyens. »

Gaston-Jeeves est abasourdi. Il avait pourtant fait la leçon à son fils « On Ne Laisse JA-MAIS Madame Toute Seule !!! ». A part lui, il reconnaît, toutefois, que son fils est encore un peu trop inexpérimenté pour résister à la tornade Esclarmonde. I n’en reste pas moins terriblement mortifié face à un tel manque de discernement.

Alors que Monsieur le Marquis frôle la crise cardiaque, la petite assemblée entend le portail d’entrée se refermer bruyamment.

Des pas escaladent gaillardement le vieil escalier et la voix primesautière de Madame la Marquise s’élève.

« Amédée, très cher. Ma dernière idée est absolument irrésistible ! »

Dans le bureau, les trois hommes ressemblent à des lapins pris dans les phares d’une voiture qui fonce à toute allure. Maryvonne, quant à elle, jubile. Elle n’aime rien tant que se délecter des excentricités de sa chère Marquise, voire y participer, au grand dam de son vénérable mari.

Madame la Marquise déboule dans le bureau, un large sourire aux lèvres.

Amédée de Patin-Couffin se racle la gorge et se dit qu’il aurait mieux fait d’avaler la bouteille du pousse-au-crime de Maryvonne histoire d’être anesthésié.

Dans un soupir digne du dernier de la Dame aux Camélias, il se lance dans le vide avec un parapluie en guise de parachute.

« Quelle idée ma très chère amie ? Et si je puis me permettre où étiez-vous passée pour rentrer si tard ? »

« Je visitais le nouveau Musée de notre belle ville, mon tendre ami. »

« A cette heure ? Ferait-il nocturne ? »

« Non point. Je me suis laissé enfermer dedans. »

Monsieur le Marquis manque de s’étouffer.

« Vous voulez dire que ces cuistres vous ont enfermée ? »

« Non, non, je me suis laissée enfermer volontairement. J’avais trouvé une cachette parfaite et ... »

En dépit de sa bonne éducation, Monsieur le Marquis ne peut s’empêcher d’interrompre sa femme.

« Comment ça, enfermée volontairement ! Mais que vous est-il passé par la tête ? »

Dans son coin Gaston-Jeeves s’interroge sur la curieuse propension de son maître à être encore surpris par les saillies de Madame. Après quarante années de mariage voilà qui l’intrigue toujours autant.