A - Madame la Marquise et le Musée - Suite et fin

« J’avais lu une nouvelle passionnante dans laquelle il était écrit que, la nuit, les œuvres d’art se réveillaient et vaquaient à leurs occupations. J’avais très envie de vérifier si cela était possible. »

Les yeux du Marquis semblent prêts à sortir de leurs orbites pour aller vivre leur vie.

« Mais enfin, ma chère, vous rendez-vous compte qu’il y a un monde entre la fiction et la réalité ? »

Le délicieux rire perlé d’Esclarmonde s’élève.

« Bien sûr, mon cher grand nigaud. Je le sais parfaitement, j’avais juste envie de m’amuser un peu et de mettre en pratique l’idée qui m’est venu lors de la visite d’inauguration à laquelle notre petit-fils Galaad m’avait accompagnée. »

Nouveau soupir tout intérieur et angoissé du Marquis. Galaad est, en effet, le preux chevalier de sa grand-mère lorsqu’il s’agit de se lancer dans des quêtes irresponsables.

Esclarmonde reprend et explique.

« Le musée a installé ce système audio, fort pratique, qui donne des informations sur les œuvres exposées. Seulement, notre petit-fils et moi-même trouvions que les-dites informations étaient fort barbantes, si vous me passez l’expression. »

La marquise sort son téléphone portable et met sous le nez de son époux, la photo de deux éphèbes dénudés et paraissant plongés dans une vive discussion.

« La bande audio indiquait qu’il s’agissait de Castor et Pollux, qu’ils venaient de Grèce et toute une kyrielle de renseignements fort peu enthousiasmants. Et, c'est la même chose pour toutes les œuvres exposées. Bref, de quoi mourir d’ennui. Lorsque j’en ai fait la remarque à Galaad, il m’a suggéré une charmante solution. »

Là, ça y est, Monsieur le Marquis n’est pas loin de se trouver mal. Il se dépêche de s’asseoir et d’un geste, il invite son malheureux majordome chancelant à faire de même. Eugène préfère de faire oublier et Maryvonne a les yeux qui scintillent, il faut dire que Monsieur Galaad est son petit préféré, qu’est-ce que ces deux-là ont bien pu manigancer ?

Madame la Marquise reprend.

« Donc hier matin, Galaad m’a prévenue qu’il avait procédé aux ajustements dont nous avions parlé et j’ai souhaité vérifier si tout était bien au point. Voilà pourquoi je me suis laissé enfermer. »

Devant l’air hagard de son cher et tendre, elle reprend.

« J’ai écouté les nouvelles bandes et je peux vous assurer que c’est AB-SO-LU-MENT génial. Tenez mon ami écoutez, j’ai enregistré le dialogue savoureux qui illustre maintenant cette statue. »

La voix d’un adolescent en pleine mue s’élève.

« Elle ne répond pas à mes SMS, j’en ai le bras cassé. »
« Tu sais les femmes, toutes les mêmes. »

Maryvonne étouffe un gloussement ravi, une fois de plus Madame a été à la hauteur et elle est heureuse de constater que Monsieur Galaad a hérité de l’esprit fantaisiste de sa grand-mère.

Gaston-Jeeves ne pense plus, son électroencéphalogramme est plat.

Eugène se demande s’il ne serait pas raisonnable de changer de vocation.

Quant à Monsieur le Marquis, il se dit qu’il vaut mieux ne pas savoir comment son épouse est sortie du Musée en évitant gardiens et caméras de surveillance. Galaad a plus que probablement sévi. Il pense également qu’un chèque de mécénat pourrait se révéler une idée à creuser.

Esclarmonde de Patin-Couffin, de son côté est tout sourire. Elle a hâte de connaître le résultat de son initiative sur les visiteurs. Elle gratifie son époux d’un baiser sur le front avant de se retirer dans ses appartements, laissant derrière elle comme un léger chaos.