A. Un amour mystérieux

Lorsque Suzanne mourut, c’est sa seule nièce, Léa, dont elle était très proche qui dut faire le nécessaire.
Pour ses funérailles, comme le maitre de cérémonie demanda une photo, Léa se rendit dans l’appartement de sa tante en se demandant si elle en trouverait une.

Ce fut très émouvant pour elle de pénétrer à nouveau dans ce petit deux-pièces propret. Suzanne ne s’était jamais encombrée d’objets inutiles, un intérieur fonctionnel et minimaliste.
Dans l’armoire de la chambre, elle trouva une boite en carton pleine de photos. Elle s’assit sur le lit et se mit à les regarder, une à une. Une vie entière tenant dans une boite de chaussures. Une vie de voyages à travers le monde pour un métier de tour opérateur qui la passionnait. Et à la retraite, toujours très active, elle continua à bourlinguer avec ses nombreuses amies. Léa se dit que, finalement, elle avait eu la vie qu’elle avait choisie. Elle ne s’était jamais mariée et n’avait pas eu d’enfants, elle était trop attachée à sa liberté. Toujours par monts et par vaux, elle ne la voyait pas beaucoup mais il leur arrivait parfois de déjeuner ensemble au restaurant. Suzanne lui racontait souvent des histoires incroyables. Léa avait toujours eu de l’admiration pour cette femme qui avait su suivre une ligne de vie sans déroger à son esprit de liberté.

Les photos défilaient devant ses yeux. C’était, pour la plupart, des clichés pris par ses amies : autour d’une table pour un bon repas sous les cocotiers, ou bien perchées sur la statue de la liberté, des cartes postales, des paysages lointains. Et puis son regard s’arrêta sur la photo d’une jetée avec un phare en pleine tempête. Cette jetée lui rappelait l’estacade de Cap-Breton, mais elle n’en était pas sure. Dans quel coin du monde éclairait-elle les marins ? Léa retourna la photo et eut la surprise de découvrir ces quelques mots écrits à la plume :

Souvenir d’un séjour inoubliable avec l’amour de ma vie…
Signé : Vincent

Qui était ce Vincent ? Léa n’en avait jamais entendu parler. Suzanne avait son jardin secret, d’ailleurs elle parlait très peu d’elle-même finalement.

Quelques jours après, pendant la cérémonie, la présence chaleureuse des amies de Suzanne réconfortèrent Léa. Elles eurent toutes, bien que très peinées elles-mêmes, un mot gentil pour elle.

Au fond de la salle, Léa remarqua un homme qu’elle ne connaissait pas. Grand et mince, il était vêtu d’un manteau noir qui allongeait davantage sa silhouette, il paraissait très triste. Aussitôt, elle pensa au mystérieux Vincent de la photo. Un peu intimidée, elle s’approcha de lui :

- Bonjour, dit-elle, je suis Léa la nièce de Suzanne, vous connaissiez bien ma tante ?

- Oui, répondit-il, je suis Vincent, un ami…

Léa ne fit aucune allusion à la photo qu’elle avait découverte, mais elle connaissait le secret de cet homme.

Un peu plus tard, quand tout le monde fut parti, Léa se retrouva seule face à la tombe de sa tante. Un immense chagrin la submergea et des larmes coulèrent sur ses joues. Elle entendit alors des pas s’approcher d’elle. C’était Vincent. Il chuchota : Je l’ai beaucoup aimée…
Et avant de s’éclipser discrètement, il se contenta de poser sa main droite sur son épaule. Une main légère comme un oiseau.