A. A lui, le doux rêveur
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A. A lui, le doux rêveur
Un jour qu'il se trouvait dans la salle d'attente de son médecin et qu'il feuilletait une revue, il tomba sur un dessin qui l'interpella. Le dessin représentait un homme assis sur une gondole. Cet homme, tout en se laissant bercer par le remous de l'eau, s'amusait à faire des bulles. Il semblait insouciant, heureux, tranquille. C'était un dessin très simple, mais il l'avait ému. Discrètement, et parce qu'il était seul à ce moment-là, il avait déchiré la page où se trouvait le dessin et l'avait mise dans sa poche.
De retour à son bureau, il avait rangé ce dessin dans un tiroir à portée de main, afin de pouvoir le regarder quand il en aurait envie. Il était comptable dans une grande société située en plein cœur de Lyon. Il faisait des comptes à longueur de journée, et la nuit ces colonnes de chiffres continuaient à défiler. A son travail, il se devait d'être bien habillé, costume, cravate, il devait avoir une tenue impeccable, sinon son supérieur lui en aurait fait la remarque. Il détestait cet homme, hautain et désagréable au plus haut point. Ce costume le gênait, il se sentait déguisé et il était mal à l'aise, engoncé. D'ailleurs, dès qu'il rentrait chez lui, il quittait tout ce déguisement pour le remplacer par des habits amples et décontractés. Ensuite il mettait un disque de musique classique pour se détendre et oublier ce travail dans lequel il ne s'épanouissait pas.
Cet homme aimait la poésie, il aimait la peinture, il aimait rêver, il aimait lire. Récemment d'ailleurs, il avait lu un recueil de citations dans lequel il y avait celle-ci : « Et moi qui dis que vous rêvez, je suis aussi en rêve. ». Des mots de Tchouang-Tseu. Du coup, il avait acheté l'oeuvre complète de cet auteur. Dès que le mot « rêve » était cité, il partait lui-même à rêver. Certains mots lui parlaient et bien souvent le réconfortaient. Il se sentait compris, il se sentait moins seul puisque d'autres les avaient écrits.
A son époque, il y a une soixantaine d'années, l'homme, et de plus père de famille, devait être fort et ne jamais montrer sa fragilité, il ne devait jamais se plaindre. Un homme qui passait du temps à lire, à peindre, à rêver, n'était pas sérieux, il était considéré comme un fainéant. Ou pire, on disait de lui qu'il n'était pas normal. Il n'y avait pas de place pour la rêverie ni la fantaisie.
Lorsque je pense à lui, maintenant, je pense à lui comme un « doux rêveur ». Un doux rêveur qui n'est pas arrivé à trouver sa place dans le monde dans lequel il vivait. Un doux rêveur qui a souffert d'incompréhension de la part de sa famille, de son chef, de sa femme aussi. Ce doux rêveur était mon père et j'aurais aimé pouvoir lui dire que moi, j'étais fière de lui, que j'étais fière d'être sa fille.
Il m'a légué en héritage le goût de la rêverie, le goût des mots, de la belle musique, et le goût des belles choses. Et pour cela, je l'en remercie infiniment car ce sont des cadeaux précieux.
De retour à son bureau, il avait rangé ce dessin dans un tiroir à portée de main, afin de pouvoir le regarder quand il en aurait envie. Il était comptable dans une grande société située en plein cœur de Lyon. Il faisait des comptes à longueur de journée, et la nuit ces colonnes de chiffres continuaient à défiler. A son travail, il se devait d'être bien habillé, costume, cravate, il devait avoir une tenue impeccable, sinon son supérieur lui en aurait fait la remarque. Il détestait cet homme, hautain et désagréable au plus haut point. Ce costume le gênait, il se sentait déguisé et il était mal à l'aise, engoncé. D'ailleurs, dès qu'il rentrait chez lui, il quittait tout ce déguisement pour le remplacer par des habits amples et décontractés. Ensuite il mettait un disque de musique classique pour se détendre et oublier ce travail dans lequel il ne s'épanouissait pas.
Cet homme aimait la poésie, il aimait la peinture, il aimait rêver, il aimait lire. Récemment d'ailleurs, il avait lu un recueil de citations dans lequel il y avait celle-ci : « Et moi qui dis que vous rêvez, je suis aussi en rêve. ». Des mots de Tchouang-Tseu. Du coup, il avait acheté l'oeuvre complète de cet auteur. Dès que le mot « rêve » était cité, il partait lui-même à rêver. Certains mots lui parlaient et bien souvent le réconfortaient. Il se sentait compris, il se sentait moins seul puisque d'autres les avaient écrits.
A son époque, il y a une soixantaine d'années, l'homme, et de plus père de famille, devait être fort et ne jamais montrer sa fragilité, il ne devait jamais se plaindre. Un homme qui passait du temps à lire, à peindre, à rêver, n'était pas sérieux, il était considéré comme un fainéant. Ou pire, on disait de lui qu'il n'était pas normal. Il n'y avait pas de place pour la rêverie ni la fantaisie.
Lorsque je pense à lui, maintenant, je pense à lui comme un « doux rêveur ». Un doux rêveur qui n'est pas arrivé à trouver sa place dans le monde dans lequel il vivait. Un doux rêveur qui a souffert d'incompréhension de la part de sa famille, de son chef, de sa femme aussi. Ce doux rêveur était mon père et j'aurais aimé pouvoir lui dire que moi, j'étais fière de lui, que j'étais fière d'être sa fille.
Il m'a légué en héritage le goût de la rêverie, le goût des mots, de la belle musique, et le goût des belles choses. Et pour cela, je l'en remercie infiniment car ce sont des cadeaux précieux.
Dernière édition par FrançoiseB le Jeu 25 Fév 2021 - 9:39, édité 1 fois
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Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie.
(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
Re: A. A lui, le doux rêveur
Bouleversant, vraiment très émouvant. Combien d'hommes (et de femmes) ont été contraints par leur famille ou la société à faire ce qui ne leur plaisait pas. Tu deviendras boucher comme moi, mon fils ! Tu pourras reprendre notre commerce. Lui, le doux rêveur qui se voyait chanter à tue-tête sur un chantier, à bâtir des maisons !
Tu amènes très bien la poésie "prescrite" dans ton histoire. Bravo !
Tu amènes très bien la poésie "prescrite" dans ton histoire. Bravo !
Daboum- Humeur : jusqu'ici, ça va
Re: A. A lui, le doux rêveur
Très belle idée, Françoise de rendre ainsi hommage à ton Papa!
C'est un texte émouvant, simple et très bien écrit!
C'est un texte émouvant, simple et très bien écrit!
Zephyrine- Humeur : Parfois bizarre
Re: A. A lui, le doux rêveur
C'est un superbe hommage à ton papa! On ne s'y attend pas dès le début !
Mais la fin est heureuse car tu as hérité de toutes ses qualités !
Dommage qu'il y ait eu cette incompréhension dans son entourage !
Mais la fin est heureuse car tu as hérité de toutes ses qualités !
Dommage qu'il y ait eu cette incompréhension dans son entourage !
Amanda- Humeur : positivement drôle
Re: A. A lui, le doux rêveur
Ce beau texte est comme un cadeau pour ton papa, qui n'a malheureusement pas eu la vie qu'il souhaitait, mais tu lui rends justice, en quelque sorte
silhène- Humeur : positive, autant que possible
RE A : A lui le doux rêveur
Belle évocation de ton père qui hélas est parti alors que l'âge de la retraite approchait et avec lui la liberté de rêver et de vivre à sa guise .
automne- Humeur : égale
Re: A. A lui, le doux rêveur
Merci à vous !
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(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
Re: A. A lui, le doux rêveur
Merci à toi, Sherkane !
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(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
Re: A. A lui, le doux rêveur
Que c'est beau, un très bel hommage à un homme incompris, mais aimé, adoré par sa fille.
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Quelle noblesse d'avoir un ami, mais combien plus noble d'être un ami.
- Richard Wagner -
- Richard Wagner -
trainmusical- Humeur : la vie est belle
Re: A. A lui, le doux rêveur
Merci à toi, Trainmusical !
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(Charles Baudelaire)
FrançoiseB- Humeur : Positive
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