A. Souvenirs de vacances.

Dé-mar-ca-tion...

C'est la première fois que j'entends ce mot là. C'est ma grand-mère qui le prononce.
Petite citadine, je passe toujours les vacances chez elle à la campagne où elle m'accueille dans sa jolie maison.
Comme toujours je me réjouis de retrouver le jardin, le potager et plus loin au fond du verger, la rivière!

Pourquoi suis-je mal à l'aise cette fois?
Grand-mère paraît soucieuse aujourd'hui et me dit :

- Ecoute moi bien Marie, tu le sais, là-bas plus loin coule une rivière qui nous sert de ligne de démarcation, cette année!
 Ne l'oublie pas, je t'interdis d'y mettre les pieds et de la franchir!

Elle est très sérieuse et moi, déçue je ne réponds pas. A cet endroit, l'eau n'est pas profonde et les autres fois, je peux toujours jouer sur les galets.

Pendant qu'elle prépare le repas de midi, je vais chercher le gros dictionnaire Larousse dans la bibliothèque. J'ai déjà 10 ans et je trouve rapidement la définition : "Démarcation " : ligne qui sert à marquer les limites d'un terrain.
Pourquoi a t-elle dit ça grand-mère? Où est-elle cette ligne de démarcation?

J'ai à peine terminé mon dessert quand je demande la permission d'aller cueillir des cerises, mon fruit préféré.
Arrivée dans le verger, je me demande si je rêve : dans la prairie, de l'autre côté de la rivière, des roulottes et des tentes multicolores ont été installées.Des femmes cuisinent sur un feu de bois, des enfants courent pieds nus et au milieu de la rivière un garçon de mon âge me regarde surpris, il sourit de toutes ses dents et me montre un petit poisson qu'il a attrappé à la main. Je laisse là mon panier de cerises et me sauve au plus vite vers la maison.

Je décide alors de jouer avec le cerf-volant qui m'attend depuis l'an passé dans le grenier. Il s'envole haut dans le verger, traverse la rivière et s'abat au pied d'un garçon qui m'observe moqueur. Il sort un couteau de sa poche et coupe net la corde qui me reste dans la main. Adieu mon beau cerf-volant!
Je ne peux pas montrer mes larmes à grand-mère, elle m'avait bien dit de ne pas m'approcher de cet endroit.

Le lendemain matin, la curiosité mais aussi l'envie de retrouver mon cerf-volant me poussent à retourner là-bas.

De l'autre côté de l'eau se dresse à présent un chapiteau et le mot " cirque " est inscrit au sommet de la tente.
Au même endroit qu'hier, deux enfants jouent et me sourient, ils me proposent de les rejoindre. Dans l'eau, ils m'apprennent à faire des ricochets.
Je sais que je désobéis. J'essaie de leur expliquer que je dois partir car ici c'est la ligne de démarcation! Ils me regardent bouche-bée, ils n'ont certainement pas de dictionnaire, ils n'y comprennent rien! Je veux leur expliquer mais c'est alors que j'entends :

- Marie! Que t'avais-je dis? Regarde ta robe, elle est trempée, où sont tes chaussures? Rentre immédiatement!

Pendant que je change de vêtements, grand-mère m'explique que les gens du cirque sont parfois voleurs, ils laissent leurs enfants courir nimporte où...bref, ils sont différents.
Elle ne veut plus que je leur parle et d'ailleurs c'est elle qui ira cueillir les cerises pour la confiture pendant que je m'amuserai près de la maison!
Elle prend un panier et se dirige vers le verger.
Tout à coup, j'entends un grand cri, c'est grand-mère, il lui est arrivé quelque chose!
Je me précipite et la trouve couchée au pied de l'échelle, elle grimace et se tient la cheville. Mes nouveaux copains sont au bord de l'eau et n'osent pas avancer :

- Peut on franchir la ligne de dé, euh, mar...pour venir aider la dame? demande le plus grand.

- Oui! Venez vite, je réponds.

- Mon père vient aussi, il est très fort, ajoute t-il.

C'est ainsi qu'en un rien de temps, grand-mère est transportée dans la maison et installée dans un fauteuil. Les trois secouristes s'en vont avant que je n'ai pu leur dire merci.
Grand-mère est tracassée :

- Ils n'ont rien volé ici j'espère? me dit-elle

Puis voyant que je suis triste, elle hésite et ajoute :

- Ils ont quand-même l'air bien gentil tes nouveaux amis. Pour les remercier, porte-leur le panier de cerises.

- Alors, je peux passer par la ligne de démarcation?

- Mais oui, vas-y, je n'aurais jamais du dire ça!

Je traverse vite la rivière et mon cadeau est accueilli par des cris de joie. On me demande des nouvelles de ma grand-mère et je reçois des billets d'entrée pour la prochaine représentation.

Ça y est, grand-mère est guérie, ce n'était qu'une foulure! Nous sommes allées au cirque et j'ai adoré les trapézistes.

Ce matin au bord de l'eau, j'ai assisté au départ de la dernière roulotte.
Devinez ce qui m'attendait dans la prairie, accroché au cerisier... mon beau cerf-volant!
J'ai pensé que ces gens n'étaient pas aussi différents de nous, même si je le sais, ils ne comprennent pas le mot " démarcation"!

Une jolie leçon de vie, où le mot "racisme" ne passera pas.
Beaucoup d'imagination ( ce n'est quand même pas une histoire vraie ?)et tendrement raconté. J'ai bien aimé.

Il y a du vécu dans cette histoire car petite fille, je rêvais de devenir trapeziste et j'entendais dire beaucoup de choses négatives à propos des gens du cirque!
Pour le reste, il s' agit d'une fiction...

Un joli texte ou la tolérance et la peur de la différence sont à l'honneur.
Une histoire que l'on pourrait lire à des enfants pour leur apprendre que parfois, il est bon de franchir la ligne de démarcation
Tu es toute fine, tu aurais fait une belle trapéziste

Merci Cassy! J'ai quand même été prof d' E P S pendant de longues années. ..

C'est une belle histoire qui finit bien.

Une jolie histoire qui fait le pied de nez aux amalgames et à la différence. Passer la ligne à la rencontre de l'autre, un conseil à rappeler à beaucoup d'esprits trop étroits.