A. Souvenirs...

Tante Julienne, ma grand-tante était veuve et sans enfant. Elle nous rendait visite une fois par mois.
A cette époque, j'avais 10 ans et puisque maman nous le demandait avec insistance, mes soeurs, mon frère et moi l'accueillions chaleureusement.
Nous redoutions pourtant le moment où à peine entrée chez nous, elle frôlerait nos joues d'un semblant de baiser n'ayant de cesse de se plaindre du long trajet qu'il lui avait fallu faire, de ses pauvres jambes qui la faisaient tellement souffrir et de nous, ses petits-neveux et nièces qui étions bien remuants...
Elle nous tendait alors une boîte de biscuits qu'elle avait découverte dans le fond d'un placard et qui, disait-elle étaient probablement immangeables mais dans la vie, n'est-ce pas, on ne jette rien!
Elle s'installait alors en soupirant, dans le meilleur fauteuil, nous intimant d'aller jouer plus loin, elle avait la migraine.
La journée s'étirait lentement, le repas de midi semblait interminable. Elle, nous rappelait sans cesse quelques règles de savoir-vivre que les enfants, disait-elle, oubliaient trop facilement!
Dans l’après-midi, je l'écoutais ébahie, citer à maman la liste des personnes qu'elle ne "coucherait” pas sur son testament puisqu'ils l'avaient il y a quelque temps soit vexée, soit ignorée aux moments où elle avait besoin d'eux!
Je me réjouissais pour eux et j'espérais être du nombre car je détestais l'idée d'être couchée sur un morceau de papier!
Quand elle nous quittait, maman me voyant excédée, riait en m'expliquant que tante Julienne était malheureuse car à force d'être égoïste, elle ne connaissait pas le bonheur de donner et de voir quelqu'un heureux.


... Et puis il y avait tante Célestine. Elle aussi était ma grand-tante. Célibataire, elle tenait une quincaillerie dans un village à la campagne.
Elle était donc très occupée et ne nous rendait pas souvent visite mais c'était nous, ces petits-neveux, qu'elle invitait pour quelques jours pendant les vacances scolaires.
C'était pour nous une vraie fête : elle nous autorisait à jouer dans le magasin où nous pouvions peser les clous, les vis et les boulons et nous laissait gambader dans le beau verger dont elle était si fière.
Elle trouvait toujours le temps de nous préparer de délicieux goûters accompagnés d'un verre du jus des groseilles du jardin!
Le soir, elle s'asseyait dans son fauteuil à bascule, prenait notre petit frère sur ses genoux et nous écoutait patiemment raconter nos histoires d'école, nos disputes entre amis, nos petits soucis quotidiens.
Toujours souriante, elle trouvait des solutions à nos problèmes sans jamais parler des siens.
Un jour, alors que nous rentrions à la maison après un séjour chez elle, je me souviens d’avoir dit :

- J'aime beaucoup tante Célestine et pourtant elle ne nous fait jamais de cadeaux.

Maman m'a répondu :

- Et son sourire... et ses goûters, tous ces moments heureux passés avec elle, ce ne sont pas des cadeaux peut-être?


J'étais adulte quand mes deux grands-tantes sont décédées. Nous avons souri à l'idée que nous n'étions certainement pas couchés sur le testament de tante Julienne. D'elle il ne nous resterait rien.

Tante Célestine n'avait jamais parlé de testament mais j'étais riche de tout le bonheur qu'elle nous avait généreusement donné! J’ai gardé d'elle des souvenirs inoubliables.
J'en ai retenu que ce qui compte c'est l'amour qu'on offre de son vivant.

A présent, il m'arrive de me dire : " Donne, donne même de petites choses qui peuvent paraître sans importance, donne de ton temps, donne à tous ceux que tu aimes! Et au bout du bout, il restera de toi ce que tu auras donné!"

Deux portraits finement tracés de deux tantes bien différentes !
Deux " mises en situation" très vivantes.
Et enfin le dernier paragraphe qui dit tout de toi !

Quelle délicieuse lecture! J'ai vraiment aimé le portrait caricatural de tante Julienne et celui plein d'amour et de douceur de tante Célestine. J'adhère totalement à la morale de l'histoire, je retiens l'idée très drôle d'être couchée sur le testament et aussi le jus de groseille !

La tendresse , c'est le plus beau cadeau dont se souviennent les enfants .

Encore un très joli texte qui décrit avec moult détails ces 2 personnages hautes en couleur.
Et bien moi en lisant, je n’ai pas pu m’empêcher d’éprouver de la tendresse et pour l’une, et pour l’autre . Parce que j’ai perçu dans ton écriture de la bienveillance.

La tristesse de l'égocentrisme.
Le bonheur du don.
Tout cela dans un texte magnifiquement descriptif (on s'y croirait dans les deux personnages) que l'on lit sans ennui et au contraire avec intérêt. Probablement qu'immanquablement ça éveille l'un ou l'autre de nos souvenirs plus ou moins comparables dans nos familles… peut-être pas aussi caricaturaux, mais bien existant au moins partiellement.
Enfin, comme, Admin je soulignerai la bienveillance et l'enseignement de la fin.

Une tante Julienne et une tante Célestine, j'en ai eues dans ma famille.
J'aime bien la description que tu fais de chacune d'elles, aucune méchanceté dans tes mots et toujours beaucoup d'humour.

Il est charmant ce texte, il a un petit quelque chose de l'histoire de Jean qui rit et Jean qui pleure. J'avais aussi des grands-tantes du même genre.

Beaucoup aimé ton texte !
Il est très vivant, on les voit bien ces deux tantes et bien sûr j'adhère à la morale de la fin!